Le Voleur de vent
causait de tort au
prestige de Philippe III ayant à plusieurs reprises humilié la Très Sainte
Espagne.
Irrité, l’ambassadeur feignit de ne s’être
point aperçu du trouble du colonel. Aussi parla-t-il avec autorité qu’il espérait
bien ne point voir remise en question :
— Colonel, vous êtes le meilleur, le plus
habile à l’arquebuse comme au mousquet mais vous utiliserez la première de ces
armes, plus légère que l’autre et qui ne nécessite point fourche de métal pour
la soutenir. Pour avoir bon appui, vous poserez le canon de l’arme sur le
rebord de la fenêtre de cette maison de la rue Galande, face à l’hôtel
particulier où se trouve Nissac. Vous veillerez jusqu’à ce que l’amiral
paraisse. Vous ne tirerez qu’une fois. Je serai, vous m’entendez, je serai à
vos côtés.
Le colonel leva un regard étonné sur l’ambassadeur.
— Quelle est cette maison ?
— Elle est à nous pour quelque temps.
— Nous serons… Vous et moi sans nul autre ?…
— Non, plusieurs, et tous de confiance.
— Je suppose que je n’ai guère le choix ?
— En effet !… répondit sèchement don
Inigo de Cardenas qui ajouta : pas davantage le choix que de faillir en
votre tir.
Sotomayor perçut parfaitement la menace.
Ils creusaient.
Ils creusaient depuis des heures et des heures
en la cave du notaire. Ils avançaient lentement, ne pouvant travailler qu’à
deux de front en un intense effort d’une dizaine de minutes au bout desquelles
deux hommes reposés les remplaçaient avec ardeur.
Tous étaient à l’ouvrage, des simples marins
et soldats aux officiers, des anciens enfants trouvés aux vieux noms
aristocratiques. Les hommes travaillaient le torse nu, madame de Nissac le haut
du corps en chemise légère, portant elle aussi les bourriches de terre en un
autre endroit de la vaste cave.
Visages, torses, les corps ruisselaient de
sueur tandis que la glaise les couvrait mais nul ne s’arrêtait à pareil détail
car ne comptait que le résultat qu’il fallait absolument obtenir avant l’arrivée
des conjurés et le début de la séance prévue pour minuit.
Les conditions en lesquelles s’effectuait le
travail étaient assez médiocres en raison de pierrailles et qu’il fallait
prendre garde que pelles et pioches, causant trop de bruit, n’éveillent les
soupçons du vicomte de Château-Meslay qui accueillait les conjurés en son hôtel
particulier de la rue du Petit Lion. On savait l’homme seul, ayant renvoyé ses
domestiques et se gardant de recevoir pour ne point troubler les conjurés par
présence inattendue.
Le vicomte de Château-Meslay était un homme
jeune, à peine vingt-quatre ans, fils d’un Ligueur tué en les rangs du duc de
Mayenne qui combattait alors Henri quatrième. Cependant, chez le vicomte, les
idées politiques tenaient aussi peu de place que la religion et il n’avançait
en cette affaire que poussé par l’ambition, souhaitant plaire au tout puissant
duc d’Épernon.
Une heure avant minuit, et tandis que certains,
secrètement, désespéraient de réussir en les délais impartis, Sousseyrac sentit
le vide sous sa pioche.
Furieusement, on agrandit le trou qui
débouchait en une autre cave, assez semblable à celle du notaire.
Cependant, il fallut encore un bon quart d’heure
pour installer en cette cave ce que l’amiral y souhaitait laisser. Enfin, sur
ordre de Nissac, tous, sauf lui-même, se retirèrent. Un à un, ils gagnèrent le
refuge d’une taverne placée presque en vis-à-vis et que le propriétaire avait
louée sans faire de difficulté dès qu’il eut vu la couleur des écus de monsieur
de Sully.
Bientôt, la comtesse, Sousseyrac, Valenty, Fey
des Étangs, Yasatsuna et les cinq marins et soldats du Dragon Vert se
trouvaient nettoyés de la terre qui les couvrait et vêtus d’habits propres.
Tous se pressaient derrière les carreaux de la
taverne guettant, en la nuit profonde et la rue vide, silhouette du comte qui
ne paraissait toujours point. La rue du Petit Lion était désespérément vide, à
l’exception d’un marin du Dragon Vert dissimulé sous un porche et qui
avait une mission spéciale, confiée par Nissac, et sans rapport avec celle qui
se déroulait en cet instant.
En la taverne, angoisse profonde augmentait d’instant
en instant, chacun communiquant la sienne aux autres.
Quelques minutes seulement séparaient de
minuit lorsque très violente explosion retentit, soufflant toutes les vitres
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