Le Voleur de vent
m’importe Henri quatrième !… murmura
l’homme défiguré en haussant les épaules.
Ainsi avait-il si vite progressé depuis
quelques mois en sa folie qu’il ne haïssait point le roi d’être hérétique et
par ailleurs bouc puant et lubrique. Tout au contraire, cela le rendait
sympathique et ne donnait point envie de le tuer. Seule excitait l’ambrosien l’idée
d’avoir organisé pareil complot, de réussir et de demeurer à tout jamais
inconnu en l’histoire. Cela flattait chez lui chose dont il ne parvenait à
saisir l’essence, ni même à cerner les contours.
— J’y songerai une fois l’affaire réussie !…
dit-il à mi-voix.
En attendant cela, il se demandait avec
certaine anxiété comment Nissac – qui d’autre ?… – avait eu connaissance
du lieu et de la date où devait se tenir réunion des conjurés.
Arrivé en sa chambre, le moine défiguré
regarda longuement le bonhomme de foin fabriqué avec la peau du cardinal de
Bellany.
Grand accès de rage le saisit alors et il ôta
violemment la paille du bonhomme puis, se trouvant devant la peau vide, il la
cloua au-dessus de son lit.
Apaisé, il réfléchit de nouveau : qui
avait trahi ?
Si près du but !…
Nerveux, il considéra la peau vide clouée au
mur et lança d’un air sombre :
— Il faut à présent faire très vite !…
Plus vite que Nissac !…
94
En ce jour du douze de mai, veille du sacre de
la reine, l’amiral de Nissac partageait au moins une chose avec l’ambrosien :
l’avis qu’il fallait agir très rapidement.
Poussé en cela par monsieur le duc de Sully et
le Père Coton, qui tous deux se montrèrent insistants, Nicolas de l’Hospital, marquis
de Vitry et capitaine des gardes du roi, qui se trouvait comme la plupart en
mauvais pressentiment, accepta de livrer à l’amiral les itinéraires du carrosse
du roi pour les jours à venir.
Dès qu’il fut en ce secret, l’amiral organisa
les choses telles qu’il comptait les voir se dérouler, sachant qu’il disposait
d’un court répit : rien ne serait tenté avant le sacre. Ainsi, par le « tâteur »,
savait-il où se terrait la forte troupe qui constituait le « Troisième
Cercle », le plus large, celui qui avait pour mission, au cas où la
tentative de Ravaillac échouerait, de tuer le roi, ses gens et tous ceux qui se
trouveraient là.
La bande, selon le « tâteur », était
confinée en un vieux château situé à mi-chemin de Paris et de Conflans.
Monté sur cheval rapide, Stéphan de Valenty se
rendit sur place et nota en effet, quoiqu’ils fussent discrets, nombreux signes
d’activité en ce château prétendument abandonné où se pressait la fine fleur du
crime du royaume des lys. Valenty, qui connaissait le goût de Nissac pour le
soin à apporter aux entreprises qu’il menait, dressa plan minutieux des lieux.
Nissac, qui s’en venait de recevoir la
trentaine de marins et soldats venus du dépôt de Toulon pour remplacer les
morts des précédentes missions, demanda peu après à être reçu par Bassompierre.
Aussitôt, il informa celui-ci en détail et le
futur maréchal, préoccupé, répondit alors :
— Le roi ne veut rien, en cette affaire, qui
apparaisse comme venant de son autorité, aussi est-ce vous, monsieur l’amiral, qui
allez régler ce problème.
Nissac voyait bien, en le regard de
Bassompierre, marque d’estime et même d’admiration mais il n’en jugea pas moins
la manière assez abrupte. Aussi demanda-t-il :
— Et comment dois-je procéder pour
satisfaire le roi ?
Bassompierre, ce qui est à porter à son crédit,
regarda Nissac droit dans les yeux.
— Tel que le roi lui-même vous le dirait
s’il se trouvait ici avec vous, à ma place.
— Mais encore ?
— Aucun survivant !
Cette fois, cependant, Bassompierre détourna
la tête pour échapper au regard des yeux gris, soudain glacé, de l’amiral qui
se retira sans un mot, ignorant que son interlocuteur se trouvait en grande
confusion de demander tâche si pénible à un homme qu’il estimait.
Mais Nissac, seulement préoccupé de sauver le
roi, ne s’attarda point en des pensées moroses et prit tout au contraire ses
dispositions.
Ainsi, il régla les horaires de sorte que les
deux cents hommes du Dragon Vert, infanterie d’assaut et marins, convergent
en trois colonnes distinctes par chemins différents vers le château où se
préparaient les spadassins du « Troisième Cercle ».
Déjà, la première
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