Le Voleur de vent
a pensé, vous m’entendez, pensé le métier des
armes, sans doute des heures par jour et pendant des années… Il y a d’autres
choses chez lui bien moins visibles et plus intéressantes. Je ne vous en dirai
qu’une : il m’a laissé la vie quand tant d’autres à sa place, et moi le
tout premier, ne l’eussent point fait.
L’ambassadeur réfléchit un court instant à ces
paroles. Il n’était pas loin de penser que le comportement de Nissac épargnant
son adversaire révélait avant tout une faiblesse.
— Certes, en plus de tout, il serait bon.
Et ce serait là raison suffisante pour risquer votre propre vie ?
— Qu’est-ce qu’une vie, monsieur l’ambassadeur,
si on ne décide de lui donner un sens ?
— La vie, c’est combattre pour son roi, son
pays et pour Dieu. Voilà le sens de la vie : net, droit, joyeux à force de
clarté.
— Joyeux ?… Je crois que l’amiral de
Nissac a une conception tragique de l’existence, c’est sans doute ce qui m’a
rapproché de lui tandis que je l’observais pour le bien connaître afin de le
mieux tuer. Je savais que vous ne me pourriez comprendre, monsieur l’ambassadeur.
— Mais quoi, à la fin : oui, la vie
est également tragique puisque son terme est la mort !… La belle affaire !…
Il vole le vent aux autres capitaines, excelle à l’épée, manifeste grande bonté
et se montre philosophe : quel homme est-ce là donc ?
— Justement, monsieur l’ambassadeur, d’un
point de vue courant, l’amiral de Nissac pose un problème grave dont vous
observez avec exactitude les prémices.
Oubliant les hommes de la police secrète, l’ambassadeur
ne put dissimuler son vif intérêt.
— Que voulez-vous dire, colonel ?
— Je crois que le comte de Nissac, en
dehors de ses qualités de soldat qui par rapport à notre objet n’ont aucune
importance, est aujourd’hui ce que les jours futurs produiront de meilleur. Or,
je ne suis point homme à insulter l’avenir. La police secrète
comprendrait-t-elle cela ?
— J’en doute !… répondit don Inigo
de Cardenas d’un air sombre.
— Et moi pareillement. Aussi ne vais-je
point desserrer les dents.
95
Le temps avait brusquement changé.
Les trois colonnes avançaient péniblement, chacune
par route différente, sous le vent et la pluie tombant en froides rafales.
Nissac commandait la première, Paray des
Ormeaux la seconde et Sousseyrac la troisième, dite « compagnie lourde »
en cela qu’elle transportait armes lourdes, tels deux fauconneaux [26] flambant neufs sortant des arsenaux de Sully.
Chacun se murait en ses pensées, car en raison
du mauvais temps, il n’était point possible de parler au camarade qui marchait
à vos côtés.
Les hommes avaient été informés qu’on
procéderait d’abord à un regroupement en la forêt proche du château où
cantonnaient les assassins pour n’attaquer qu’à la nuit, et par surprise. Malgré
cela, nul n’ignorait que la partie serait rude même si tous se trouvaient en
bonne confiance, et c’est là l’immense avantage d’être mené par un chef qui n’a
jamais connu la défaite.
D’autres, qui aimaient secrètement la jolie
comtesse de Nissac, espéraient se battre à ses côtés et qui sait, la sauver, peut-être,
quoiqu’elle eût montré déjà qu’à l’épée comme au pistolet, elle valait n’importe
quel homme.
Mais cela n’empêchait point de rêver et
parfois d’y croire car, sans l’espérance, qu’en serait-il des hommes ?
L’évêque de Luçon, Armand
Jean du Plessis de Richelieu, attendait en grande anxiété car il croyait savoir
qui lui avait donné rendez-vous et pensait que son destin, qu’il voulait
exceptionnel, allait se décider en les minutes à venir.
Il eût préféré que la rencontre se fît à
Saint-Germain l’Auxerrois, paroisse du Louvre, au lieu de quoi il se trouvait
en le couvent du Petit Saint-Antoine qu’il connaissait peu bien qu’il eût une
fois cependant assisté à l’office des Ténèbres en cet endroit.
L’évêque de Richelieu frissonna de froid, ayant
reçu la pluie au sortir de son carrosse. En outre, il souffrait d’une irruption
de furoncles sur tout le corps, mais particulièrement de l’un d’eux en le
fondement qui l’obligeait à se tenir fesses écartées selon technique qu’il
maîtrisait bien, ayant souvente fois furoncles en cet endroit et devant en
souffrir toute sa vie.
Il attendait depuis plus d’une heure, grelottant.
On
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