Le Voleur de vent
était après vêpres et il désespérait lorsqu’une femme apparut.
Elle portait masque représentant la mort, mais
cet artifice était inutile car Richelieu savait qui elle était.
Il éprouva difficulté à parler le premier, balbutiant :
— Majesté…
La femme attendit longuement avant de répondre,
mettant ainsi fin à la torture de Richelieu :
— Demain, c’est le sacre de la reine.
Il songea : « Je le sais et vous le
savez mieux que quiconque, Madame, puisque c’est vous qui serez sacrée. »
Il se contenta de hocher la tête.
La femme au masque de mort reprit :
— Si après-demain le roi est rappelé à
Dieu, la reine dirigera la régence. Elle aura besoin de ministres, d’hommes
nouveaux, ambitieux, jeunes et bons catholiques. Le roi ne vous fera jamais, vous
m’entendez, jamais ministre. La reine le fera. Et vous fera élever au
cardinalat.
Richelieu tomba à genoux devant la reine.
— Parlez, Majesté, je suis à vos ordres.
La femme au masque de mort, personnage que
servait « la conjuration des douze » et qui se trouvait au sommet de
celle-ci, tarda volontairement à répondre puis, sèchement :
— Abandonnez cet amiral de Nissac que je
hais !… Ne voyez-vous donc point que sa fidélité au roi est le dernier
obstacle entre vous et vos ambitions ?
Toujours à genoux, tête baissée en une
attitude de soumission exagérée, l’évêque répondit :
— Je ne connais plus l’amiral de Nissac
et ne le reverrai jamais. Mieux, je le briserai.
Il entendit un bruit de pas et leva la tête :
la femme au masque de mort s’éloignait. Il est vrai que, pour elle, la journée
du lendemain s’annonçait très chargée.
Sortant en grande discrétion, l’évêque de
Richelieu observa la femme montant en son carrosse, les livrées des cochers, laquais
et pages portant tous casaques et pourpoints de satin bleu et blanc. C’était là
les couleurs de la reine.
Les trois colonnes
se regroupèrent à proximité du château où se trouvaient la cinquantaine d’assassins
qui devaient se préparer à agir dès le lendemain du sacre de la reine.
La pluie avait cessé mais la lune se trouvait
souvente fois masquée par le passage de gros nuages sombres.
Sous le couvert de la forêt, les plus fervents
loyalistes du royaume, tous du Dragon Vert, vérifiaient leurs armes et
passaient en haut du bras gauche brassards marine à fleurs de lys jaune d’or
afin de se reconnaître immédiatement en le furieux combat qui s’annonçait.
L’approche de Nissac, utilisant le seul côté
qui n’était point à découvert, avait permis de se trouver très près du château
en lequel le pont-levis n’avait point été relevé, mais la lourde porte qui lui
succédait, elle, était fermée.
Tandis que certains vérifiaient la mèche de
leur arquebuse, d’autres sans bruit sortaient l’épée ou le sabre du fourreau et
quatre artilleurs d’élite du Dragon Vert mettaient en batterie les deux
fauconneaux, leurs gueules menaçantes pointées vers la porte.
La garde était légère : deux hommes sur
le pont-levis, un troisième sur les créneaux et celui-là seul posait problème.
Nissac s’approcha avec le seigneur Yasatsuna
et un marin breton dit « Le Maltais », ainsi surnommé car c’est à
Malte qu’il avait appris l’art du couteau avant de trouver femme à Messine et
de l’épouser à Nieuport.
À la même seconde, deux poignards lancés par
Nissac et le Maltais atteignaient la gorge des hommes de garde sur le
pont-levis tandis qu’au même instant celui du créneau recevait une flèche en l’œil
gauche aussitôt doublé d’une autre en l’œil droit, le fils du Soleil Levant
baissant alors son arc en ne regardant pas même le résultat.
Un des hommes du pont-levis tomba en l’eau
croupie mais le bruit fut léger car il ne vint aucune réaction du côté du
château.
L’amiral de Nissac, qu’observaient deux cents
paires d’yeux, tira alors l’épée du fourreau, la leva et l’abaissa en un geste
rapide. Aussitôt, les artilleurs ouvrirent le feu et, sous la salve des
fauconneaux, la lourde porte, dégondée, s’effondra sur le pont-levis qu’elle
ébranla.
Les assaillants se mirent aussitôt en route, avançant
au petit pas de course.
À l’étage, des hommes aussitôt réveillés se
précipitèrent aux meurtrières. Muets de stupeur, ils virent la nombreuse troupe
qui avançait vers eux, très compacte, semblable aux « tortues » de
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