Le Voleur de vent
femme. Celle-ci, un instant
incrédule, hurla de terreur.
Nissac, qui semblait d’un coup épuisé, se
tourna vers l’officier ;
— Cet homme n’appartient plus à l’équipage
du Dragon Vert. Qu’on lui donne de quoi rejoindre Toulon et qu’il quitte
les lieux à l’instant, faute de quoi, il sera considéré comme espion et pendu
sur-le-champ.
L’amiral fut envahi d’une grande tristesse. En
deux ans à le côtoyer, c’est là tout ce que ce jeune homme avait appris : terroriser
une femme déjà humiliée car s’étant trouvée nue devant tant d’hommes ?
Voyant que la tête était demeurée aux pieds de
la femme, l’amiral s’adressa à un soldat de l’infanterie d’assaut :
— Eh bien, qu’attendez-vous ?… Débarrassez-nous
de cette tête !
— À vos ordres, monsieur l’amiral !…
répondit l’homme qui, en grande résolution, saisit la tête par les cheveux, spectacle
assez pénible pour tous.
Puis, ayant ainsi fait, il marqua longue
hésitation, ne sachant comment poursuivre.
Nissac, mais aussi la dizaine de marins
présents, l’officier et la femme elle-même, levèrent tous les yeux vers le
soldat qui, souriant d’un air de grande niaiserie, tenait toujours la tête par
les cheveux, à bout de bras, tel un seau d’eau.
Enfin, de nouveau résolu, il affirma :
— Je vous débarrasse de cette tête, monsieur
l’amiral !
Mais il n’en fit rien, ne sachant toujours pas
comment agir et regardant, l’air perdu, aux quatre coins de la pièce.
Discipline militaire interdisant qu’on lui
dise comment il devait s’y prendre, la bouche tordue, certains lui soufflaient
quelque chose et Nissac lui-même, quoique sa bouche demeurât silencieuse, articulait
un mot mais l’homme, la tête penchée à quarante-cinq degrés en l’espoir de
mieux lire sur toutes ces lèvres, l’homme, donc, n’agissait point, étant en la
totale incompréhension de ce qu’on lui susurrait de tous côtés.
N’y tenant plus, un sergent sortit en le
couloir tandis que les autres regardaient le soldat avec cette sorte de
fascination qu’exerce toujours bêtise extrême.
Le sergent sorti plus tôt, et qui se trouvait
en le couloir, c’est-à-dire hors la zone de contrôle de l’endroit où l’ordre
avait été donné, hurla à pleins poumons :
— Jette-la par la fenêtre, pauvre crétin !
Sous le regard fasciné de ceux qui se
trouvaient en la pièce, le visage du soldat s’illumina. Avec conviction, il
jeta la tête par la fenêtre mais crut bon, hélas, d’ajouter avec un bon sourire :
— Cette tête est oubliée, monsieur l’amiral !
À quoi sembla répondre, en le silence, le « plouf »
sonore de la tête tombant en les eaux croupies des douves du château, comme si
cette partie décollée du spadassin entendait bien, en cette querelle, conserver
le dernier mot.
L’amiral-comte de Nissac, mais tous les autres
aussi qui pareillement ne voulaient point rire en ces circonstances dramatiques,
commencèrent par rosir. Puis, chez tous, la couleur s’affirma, virant au rouge.
À quoi s’ajoutèrent en tempête hurlements sauvages d’un rire trop longuement
retenu qu’alimentait sans cesse air de grande désolation du malheureux soldat.
Nissac, les yeux encore mouillés de larmes, leva
sa main gantée de gris perle pour imposer un silence qu’il obtint aussitôt :
— Messieurs, le combat fut âpre et ceci
explique cela.
Enfin, avisant la femme nue sous la cape :
— Nous allons sortir, madame. Habillez-vous
et retournez chez vous.
Le retour vers Paris,
qu’on atteignit à l’aube, fut des plus tristes. L’équipage du vaisseau royal
comptait onze morts et plusieurs blessés graves.
Nissac qui allait en queue avec la compagnie
lourde de Sousseyrac regarda le ciel pâle qui blanchissait à l’est. Au moins
avait-il réussi, en tuant ces cinquante régicides, à totalement détruire le « Troisième
Cercle » de la conspiration.
Il regarda la comtesse qui allait à ses côtés.
Il eut brusquement envie de fuir Paris. Mais
il savait que le plus difficile était encore à venir…
96
La journée du sacre fut fastueuse. Des princes
y côtoyaient tout ce que le royaume comptait de gens de haute importance en
costumes d’apparat. On y vit même, rentrée en grâce, la reine Margot qui avait
fort grossi. Elle portait manteau où se voyaient fleurs de lys d’or et si long,
que des barons en tenaient la queue.
Le comte de Nissac eût pu exiger,
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