Le Voleur de vent
l’ancienne
Rome, et la frayeur des régicides tenait au silence des assaillants. Contrairement
aux troupes d’assaut qui toujours s’élancent en hurlant, les bouches
demeuraient fermées et l’on n’entendait que l’horrible cliquetis des armes et
les pas lourds que font deux cents hommes sur les planches d’un pont-levis.
En le château, on se dressait partout pour
saisir ses armes et se précipiter vers l’entrée.
Le premier choc eut lieu en la vaste salle d’armes
du bas et tourna immédiatement en faveur des loyalistes, les régicides devant
reculer en combattant vers un escalier monumental qu’ils gravirent à reculons. Les
félons recevaient d’incessants renforts venant de l’étage.
Sur un ordre de Nissac, Paray des Ormeaux par
une aile, Fey des Étangs et Valenty par l’autre emmenèrent la moitié des
effectifs du Dragon Vert afin de complètement nettoyer le
rez-de-chaussée du château où des régicides en nombre assez réduit furent
aussitôt passés au fil de l’épée.
Mais l’essentiel du combat se déroulait sur l’escalier
de marbre, large de presque deux toises, où les spadassins se trouvaient en
position plus élevée, et donc plus avantageuse.
Comme il était d’usage en son art de la guerre,
le seigneur Yasatsuna moissonnait des têtes, certes, mais sa situation
défavorable ne lui permettait point de briller autant que d’habitude. Il en
allait de même pour Sousseyrac dont la force s’exprimait plus difficilement.
Les régicides, eux, qui se défendaient
farouchement, et avec talent, tiraient excellent parti de leur emplacement mais
cependant, en cette mêlée sauvage, ils perdaient pied et reculaient
inexorablement vers l’étage. En leur défaveur, jouait le fait qu’ils n’avaient
jamais combattu des hommes armés de sabres et de haches d’abordage qui
taillaient des membres entiers.
Parmi les régicides, un petit homme voyant
Sousseyrac culbuter coup sur coup deux adversaires le visa à la tête avec un pistolet
et déjà le capitaine géant recommandait son âme à Dieu quand son futur assassin
s’effondra, une balle en plein front.
Se retournant, Sousseyrac découvrit Isabelle
de Nissac. Il s’en étouffa presque.
— Ah çà, madame la comtesse, vous m’avez
sauvé. Sousseyrac sauvé par une femme, la vie est délicieuse et grand bienfait !…
Je mourrai volontiers pour vous et avec grand bonheur, madame !…
— Vivez plutôt, monsieur, et songez à
tous les violoneux qui sans vous seraient fort marris et moi-même fort triste
de ne plus vous entendre dire bêtise sur bêtise !
Pendant ce temps, le combat continuait, âpre
et sauvage. Les régicides reculaient pied à pied, vendant chèrement leur peau, ceux
du Dragon Vert laissant au moins un mort ou un blessé grave pour chaque
marche conquise. On glissait dans le sang.
Enfin, on fut à l’étage et, si la victoire ne
laissait guère de doutes, il fallut encore plusieurs morts avant que les
derniers régicides ne jettent l’épée.
On fit six prisonniers, dont deux blessés. Le
roi, par la bouche de Bassompierre, avait parlé : « Aucun survivant. »
Nissac s’entretint avec eux, à voix basse, pendant plusieurs minutes sans que
nul entende mais, à voir comme ils s’alignèrent contre un mur spontanément, on
comprit qu’ils avaient choisi leur mort : ni corde, ni gorge ouverte au
couteau.
Tir de mousqueterie, à moins d’une toise, et
tout fut dit.
Tandis qu’au rez-de-chaussée madame de Nissac
assistait le chirurgien du Dragon Vert qui soignait les blessés, l’amiral
fut appelé en une chambre de l’étage. Il y vit une femme nue qui se tenait
assise sur un lit en conservant les yeux baissés. À ses côtés, sorti de sous le
lit où il se cachait, un homme gras, nu lui aussi. Sans un mot, et avant toute
chose, Nissac couvrit la femme de sa cape marine tachée de sang, soustrayant sa
nudité aux regards avides d’une dizaine de marins.
Puis il écouta l’officier qui avait interrogé
le couple.
— La femme est une bourgeoise du
voisinage. Sans doute prise de folie, elle a tout quitté pour vivre au milieu
des spadassins où elle fut choisie par ce lâche qui a abandonné les siens et
espérait nous échapper en se cachant.
Nissac jeta un regard las à l’officier.
— Vous connaissez la consigne.
On entraîna l’homme et, presque aussitôt, on
perçut un coup sourd.
Un jeune marin revint avec la tête du
spadassin qu’il jeta en riant aux pieds de la
Weitere Kostenlose Bücher