Le Voleur de vent
barreaux de fer, restaient cloîtrés en
leur logis. Il se disait qu’aucune geôle au monde ne pourrait retenir semblable
créature qui venait assurément du fin fond des enfers pour décimer l’humanité
et effacer jusqu’au souvenir de Dieu. Tous tremblaient en la ville, ses
faubourgs et ses campagnes circôvoisines car lorsque « la bête »
briserait ses chaînes, ce serait carnage et chaos, rivières de sang et fleuves
de larmes.
Il avait fallu trente hommes d’armes pour
seulement l’approcher au plus près, mais dix d’entre eux étaient morts avant, carotides
arrachées et nuques brisées entre les énormes pattes de cet antéchrist. Et
seule la ruse, puis forces hors la nature, avaient montré quelque efficacité
après qu’on eut jeté sur « la chose » dont la bouche écumait de sang
et d’amertumes blanches le contenu de plusieurs mesures d’eau bénite et des
reliques saintes, dont un fragment de la vraie couronne d’épines. Puis était
apparu ce moine au visage entièrement caché – sauf aux yeux de la bête – par un
ample capuchon et celui-là brandissait un crucifix à l’envers, faisait signe de
croix à l’envers en tenant poignards par la lame qui formaient une croix de Saint-André
et créait un vide apeuré autour de lui. Alors « le monstre » vacilla.
Le moine avait parlé mais si doucement que nul
n’entendit ses paroles, mais point « le monstre » qui, brusquement en
état de grande terreur, dissimula son visage en portant vivement ses énormes
pattes à hauteur de ses yeux.
On disait qu’alors, « la créature »
vomie par les entrailles brûlantes de la terre aurait reculé en murmurant :
— Non !… Non !… Pas cela !…
Pitié, grande pitié, pas cela !…
Un capitaine de la garde du gouverneur, homme
de grand courage qui s’était couvert de gloire à l’époque des guerres de la
Ligue se serait à cet instant, dit-on, approché si hardiment qu’il se trouva
placé entre « la bête » et le moine, de sorte qu’il vit le visage de
celui-ci.
Que vit-il ?… Qui le saura jamais ?…
Longtemps, en les temps qui suivirent, on échangea impressions, faisant boire
des soldats du gouverneur pour en tirer quelques paroles mais aucun n’avait
distingué le spectacle qui s’offrit en un fugace instant au regard du capitaine.
Ce qui n’est point douteux, et chose établie
des plus formellement qui soit, c’est que le courageux soldat porta sa main à
la cuirasse, à hauteur du cœur, et les yeux révulsés s’effondra foudroyé. Plusieurs
affirmèrent par la suite qu’il aurait murmuré : « Quelle horreur !…
J’ai mal !… » D’autres, moins nombreux il est vrai, jurèrent que
telles paroles ne furent point dites et la question resta entière.
En revanche, tous vinrent peu après contempler
le visage du défunt capitaine et chacun fut stupéfait en découvrant l’expression
de ses traits tels que les avait figés la mort. En effet, ce n’était point là
spectacle de la peur, pas même de la terreur, mais très au-delà, comme si les
limites de l’effroyable s’étaient trouvées reculées vers des frontières jusqu’ici
inconnues. Le malheureux laissait voir sur cette pauvre face à quel point il
regrettait, en cet instant, d’être venu au monde pour y contempler pareille
chose et beaucoup qui se trouvaient favorablement en cet avis pensèrent alors, et
à jamais, que le capitaine avait de lui-même décidé que son cœur devait cesser
de battre car c’était là l’unique issue pour échapper à ce qu’il voyait et ne
pouvait ni conjurer, ni supporter.
Longtemps, lors des saisons qui plus tard s’enchaînèrent,
puis pareillement les années et jusqu’aux plus jeunes qui devaient vivre les
décennies de la Fronde et les règnes de Louis treizième et Louis quatorzième, tous
furent unanimement de semblable opinion et en ressentirent bien profond malaise.
Car il se trouvait une chose qui ne se pouvait
discuter et qui restera à tout jamais des plus mystérieuses : le capitaine
était certes bien mort de frayeur mais en regardant… le moine, pas « le
monstre » !
Oui, décidément, l’homme foudroyé par si grand
effarement n’avait point craint de regarder « la bête » à tête de
grand singe avec crâne bosselé et tondu, petits yeux de porc profondément
enfoncés en de sombres orbites, nez qui semblait plutôt museau et cette
horrible bouche ruisselant de sang où se voyaient dents magnifiques,
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