Le Voleur de vent
de l’écouter. Ainsi, le roi Henri quatrième venait-il de
relancer la construction navale, mais point de vaisseaux de haute mer, uniquement
de lourdes galères que Nissac jugeait déjà d’un autre temps et condamnées à
disparaître. En effet, les galères ne se risquaient guère loin des côtes, réagissaient
fort mal sur mers agitées et n’embarquaient que quelques canons situés à l’avant,
ce qui leur infligeait dramatique infériorité en cas de canonnade avec un
galion.
Nissac soupira, observant ses arquebusiers qui
se préparaient derrière leurs couleuvrines sur les châteaux avant et arrière en
l’attente de faire pleuvoir sur les pirates abondante moisson de projectiles.
La marine royale ne construisait point de
galions et celui-ci avait été offert en reconnaissance au roi de France par un
banquier vénitien délivré des barbaresques par Nissac qui, à l’époque, commandait
une vieille caraque. Mais le banquier avait exigé que Nissac fût à vie
commandant de ce galion si bien que le futur vice-amiral avait pu intervenir
sur le chantier de construction.
De fait, Nissac s’était-il souvenu des lois qu’il
tirait en enseignement des combats navals. Certes, prendre le vent, arriver
dans le soleil et ne point hésiter à attaquer de nuit. Mais, plus encore, le
vice-amiral croyait en la conjugaison de la vitesse et d’une puissante
artillerie. Les galions eux-mêmes, compte tenu du temps de rechargement des
canons, en arrivaient à des manœuvres trop longues : on tirait à bâbord, puis
par l’avant, tournait les bateaux, tirait à tribord, puis par l’arrière…
Stupidité !…
Nissac avait discuté avec les architectes pour
qu’on allégeât les rondeurs du galion, abaissant avec audace les châteaux qui
prenaient le vent de face, freinant ainsi la course. Plus long mais plus étroit, Le Dragon Vert devint ainsi vaisseau le plus rapide de son temps, d’autant
que Nissac avait pris le parti de choisir toujours le matériau de construction
le plus léger qui fût, notamment pour les bois. En outre, le vice-amiral se
rendit en Suède où le métal est le meilleur du monde et fit fondre canons
améliorés, plus simples à l’emploi. Disposant de cette artillerie moderne, mieux
entraînés et plus souvent que n’importe quel équipage, les canonniers du Dragon Vert pouvaient faire feu toutes les une à deux minutes quand il en
fallait de cinq à dix sur les autres galions.
Nissac savait que la réussite tenait à la
cadence de tir rapide. Il n’était plus nécessaire, sur Le Dragon Vert, de
tourner le navire sur chaque bord pour faire feu et s’il arrivait à Nissac d’utiliser
semblable méthode, la raison tenait qu’il voulait que son équipage fût en
toutes choses le plus fin manœuvrier du monde. Aussi avait-il fait débarquer, et
pour toujours, artillerie de chasse et artillerie de fuite, concentrant toute
sa redoutable puissance de feu sur les deux bords du bâtiment.
Le comte ne voulait point tomber en l’aigreur
de ceux qui ont raison trop tôt, le savent, et qu’on n’écoute point. Il pensait
que les idées justes font toujours leur chemin… parfois longuement !
Enfin, il s’amusait fort de savoir que le roi
Henri quatrième, qui ne l’aimait point – pour raison qui n’honorait pas le
monarque – comptait sur lui, et sur lui seul, pour faire régner l’ordre royal
en les mers du Levant. Henri quatrième, humilié de voir ses navires marchands
capturés par les pirates, tempêtait qu’il ne tolérerait point qu’on « insultât
le pavillon » mais beaucoup savaient que ce que déplorait davantage le roi
tenait que le commerce qui assurait la richesse du royaume fût ainsi entravé
par les barbaresques au levant et les pirates au ponant.
Le comte de Nissac fut tiré de ses pensées par
le second, Charles Paray des Ormeaux :
— Monsieur l’amiral, de grâce, ne m’en
veuillez point de cette question mais pourquoi livrer si dangereux combat ?
Sans quitter du regard les galions ennemis, Nissac
répondit :
— Monsieur des Ormeaux, les seuls combats
qui vaillent et qui me séduisent sont ceux qui apparaissent perdus d’avance.
Il songea que, s’il devait mourir aujourd’hui,
ce serait comme un chien abandonné, seul au monde et sans l’amour d’une femme.
— Je ne mérite sans doute que cela !…
murmura-t-il.
Sans tourner la tête, il ajouta d’une voix
calme :
— Soyez très attentif à la manœuvre, monsieur
des
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