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Le Voleur de vent

Le Voleur de vent

Titel: Le Voleur de vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Frédéric H. Fajardie
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l’arrière du vaisseau, sur la galerie de poupe, le vice-amiral
parlait fort peu, comme à son habitude, écoutant ses officiers. Son regard s’attardait
parfois sur des instruments de navigation aux reflets cuivrés : boussoles,
compas, astrolabe. Puis il effleurait des tables astronomiques, des livres de
mer décrivant rivages, amers, passes et accès portuaires ou cet ouvrage plus
rare encore contenant indications précieuses sur les marées et profondeurs près
des côtes.
    C’est sur Le Dragon Vert, après de
longues méditations et réflexions, qu’il avait mis au point sa façon de faire
la guerre : se montrer économe de la vie de ses hommes, dérober le vent à
l’ennemi et l’obliger à combattre face au soleil, préférer la rapidité du tir
et la vitesse de déplacement aux savantes manœuvres ou à un nombre supérieur de
navires. C’est ici encore qu’il avait inventé pour les bâtiments amis, lorsque
la nuit survenait, signaux codés à l’aide de lanternes qu’on aveugle par
intermittence.
    Il aimait s’allonger sur sa couchette et
regarder les planches du plafond à travers le cône doré d’un rayon de soleil où
dansaient des poussières de bois. Ces calmes instants lui servaient lors des
violentes tempêtes où il faisait mettre bas les voiles tandis que Le Dragon
Vert fortement secoué tanguait, oscillait et roulait sur la lame. En cet
instant où le galion semblait comme accablé sur le flot, tandis que certains
hommes d’équipage récitaient le Confiteor et chantaient Salve Regina ou Sancta est Maria mater gratiae, Nissac gagnait le gaillard d’avant, posait
ses mains sur le bord et ne bougeait plus, quoi qu’il advînt, rassurant ainsi l’équipage.
    Rassurer, rassurer toujours, même lorsque la
victoire semblait longtemps balancer entre barbaresques et marine royale, même
lorsqu’il doutait, condamné à ne jamais révéler son angoisse à un confident qui
eût allégé celle-ci en la partageant.
    Il regarda la ligne d’horizon où le bleu de la
mer se confondait avec celui du ciel. Ici, la distance et le temps semblaient
se dilater, permettant d’échapper à l’étroitesse de la vie de chaque jour à
terre, et il comprenait ce phénomène tant du point de vue géographique que de
celui des choses humaines.
    En outre, lorsqu’il se trouvait à bord de son
galion, les langues étrangères, elles aussi, s’estompaient. Ainsi, on parlait
le français sur Le Dragon Vert, qui était langue naturelle de l’entendement
coutumier mais parlait-on matière juridique qu’on ne se pouvait comprendre qu’en
espagnol ou portugais, même si l’on s’adressait à un Turc lui aussi au fait de
cet usage. Pareillement, s’il s’agissait de construction maritime, tous les
marins d’Europe entendaient le hollandais, et le germanique pour le combat, l’anglais
pour la conduite du navire et l’arabe pour l’évolution sur la mer en belles
figures compliquées.
    Contrairement à bien d’autres, qui
appliquaient ces choses sans y réfléchir, le comte de Nissac, esprit curieux de
tout, les méditait longuement. Ainsi en était-il arrivé à faire sienne l’idée
qu’un langage universel imposé par la nécessité rassemblait les hommes au lieu
de les diviser et que, dès lors qu’ils se comprenaient, ils perdaient souvente
fois motifs de se combattre. De cette pensée venait une autre selon laquelle
les religions, parfois différentes en un même pays, étaient motifs à
affrontements sanglants. Aussitôt qu’il l’eut ainsi pensé, il détesta les
religions toutes ensemble cherchant, au long des années en mer, ce qui pouvait
présider favorablement aux destinées humaines. La réponse lui vint tout
soudainement, comme il s’interrogeait sur le fonctionnement de sa pensée :
seule la raison pouvait guider les hommes car, en ses développements ultimes, elle
contenait idées de liberté, de respect et d’égalité, bannissant au contraire sectarisme,
intolérance, guerre et violence.
    Le vice-amiral gardait pour lui seul cette
découverte, étant certain que les temps n’étaient point venus où il pourrait en
entretenir d’autres hommes. Cependant, ne voulant pas que fût perdu travail de
pensée si long et tant ardu, il lui apparut bientôt que, faute d’en pouvoir
discourir, il appliquerait en sa vie de chaque jour tels principes. Secrètement,
il espérait ainsi que ceux qui se trouveraient surpris de son attitude en
viendraient à se poser semblables questions

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