Le Voleur de vent
d’un regard et ce que l’on peut encore y lire
tels la compassion, le respect ou l’accablement fraternel de se trouver en
semblable situation de détresse.
Et c’est pourtant ce qu’il crut voir dans le
regard voilé du vieil ours des Pyrénées battu depuis sa naissance, abruti de
coups, d’injures et de crachats.
Tandis que la foule faisait brusquement
silence, le futur loup-garou s’était approché du forain qui l’obligeait ainsi à
se battre et curieusement, l’ours avait agi de même. Devinant la gravité de l’instant,
le forain, dont la peur agrandissait les yeux, sortit une bourse emplie de
pièces d’or en disant :
— Prends !… Prends et va-t’en !…
Quoi, il fallait tant souffrir, et si
longtemps, pour gagner une seule de ces pièces et on les lui offrait toutes dès
lors qu’on le craignait ? Ignorant la foule qui grondait, mécontente de ce
que le combat avec l’ours se trouvât interrompu, celui qui allait devenir
loup-garou ouvrit sa formidable mâchoire qu’il devait à la nature et le rendait
si hideux puis il la referma sur la gorge du forain, emportant la pomme d’Adam.
Aussitôt, il fut inondé de sang mais lui trouva étrange et bonne saveur…
La foule silencieuse hésitait, les gardes
allaient se précipiter. Maîtrisant sa propre frayeur, l’assassin se tourna vers
l’animal en disant :
— Viens, l’ours, tu me dois suivre ou ils
nous feront mauvais parti !
Ainsi, l’homme et l’ours traînèrent-ils toute
une année par les chemins défoncés du royaume. Ils tuaient pareillement, arrachant
la tête des poules ou des moutons et se gorgeant de sang chaud qui faisait
oublier l’âpreté de l’hiver et la morsure du froid.
Puis, lors d’une battue, l’ours fut tué et l’homme,
lui-même blessé, s’échappa en profonde forêt. Des loups vinrent le flairer mais
les grognements de l’homme, et les étonnantes dents qu’il montrait en attitude
de haine, le firent respecter.
L’homme observa longuement les loups et qu’ils
fussent des bêtes ne le gênait point car il n’attendait plus rien des hommes, se
souvenant que seul un vieil ours l’avait regardé de façon humaine.
En les années qui suivirent, tandis qu’il
coiffait tête d’un compagnon abattu par des chasseurs, l’homme découvrit par
hasard le sang d’enfant qu’il trouva à son goût, l’estimant sans humeurs ni
impureté. Ainsi était-il né à cet horrible état de loup-garou et c’est ce qu’il
confessa, en grand bonheur de parler, au moine à la petite voix désagréable.
Pensif, l’homme d’Église garda le silence
quelques minutes, comme tel qui prend importante décision puis, tout
soudainement :
— Je ne t’abandonnerai point. Trois de
tes semblables sont déjà sous ma protection, vous serez donc quatre, comme les
cavaliers de l’Apocalypse, et c’est bien ce que je compte faire de vous !…
Mais n’oublie jamais que tu me dois de vivre et cette vie, je te la peux
reprendre à tout instant en t’envoyant combattre ma cause. Ne dérobe jamais à
un ordre, renonce au monde, prépare-toi à vivre en l’ombre des souterrains d’un
vieux château avec trois de tes pareils et ne crains point leur compagnie car
vous avez en commun tant de souffrances subies et causées qu’il est d’usage
bien établi que vous ne vous jetiez pas à la gorge les uns des autres. Acceptes-tu ?…
— J’accepte, Maître !…
— As-tu à poser questions qui te
tourmentent ?… Demande à présent, ou renonce à jamais…
— Qui êtes-vous, Maître ?… Quelle
cause servez-vous ?… Et d’où vous vient ce terrifiant visage ?…
Le moine eut un rire bref et la petite voix
répondit :
— Tu es un homme intelligent. Ce sont là
les trois questions que j’aurais posées si je m’étais trouvé en ta situation. Quelle
cause je sers, dis-tu ?… Au-delà des têtes royales et princières, on
attend sans doute de moi que je serve Dieu pour restaurer la vraie foi en ce
royaume désolé par l’hérésie et toi, m’obéissant, tu servirais pareillement
Dieu… Hélas, rien de cela n’est vrai car je ne crois absolument pas, m’entends-tu,
absolument pas en ce Dieu ni en aucun autre, quoi que je dise ailleurs !
Il soupira et reprit, parlant toujours en un
débit rapide :
— Qui je suis est sans importance mais il
me plaît de penser qu’en dehors d’une certaine personne, qui au reste est une
femme de grande puissance, seuls trois, et bientôt
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