Le Voleur de vent
quatre loups-garous
connaissent mon secret. Je m’appelle Vittorio Aldomontano et suis moine
ambrosien du couvent Saint-Nicolas de Nancy. C’est moi qui réussis en compagnie
du général de ma compagnie, notoirement incompétent, à exorciser le cardinal de
Lorraine qui se croyait ensorcelé, et n’avait point tort de le penser. Vois-tu,
les hommes, fussent-ils d’Église, sont des plus ingrats. Aussitôt libéré de son
mal, le cardinal de Lorraine, très puissant seigneur d’une très grande famille,
se trouva gêné de devoir son salut à un simple ambrosien arrivé de Milan si
bien qu’il fit prendre quelques renseignements. Ainsi apprit-il qu’on me disait
partout magicien et me convoqua-t-il aussitôt pour m’apprendre que je devais
rendre compte de cela.
— C’est là grande ingratitude, Maître !…
Aldomontano conserva le silence, étonné. Il n’était
point accoutumé qu’on coupât ainsi sa parole mais la remarque du loup-garou
montrait que celui-ci ne manquait point d’intelligence. Or, si l’Italien ne
craignait rien moins que la bêtise de ceux qui se trouvaient appelés à le
servir, il tenait en méfiance trop d’intelligence.
Il décida cependant de répondre, mais
indirectement, afin de ne point laisser l’autre mener sa parole :
— Il ne me fut point de grande difficulté
d’expliquer au cardinal de Lorraine qu’il ne pouvait avoir été ramené à Dieu
par homme du diable car sa guérison serait aussitôt remise en cause et sa
possession connue de tous. Après quoi, j’avançai au cardinal que, si je me
trouvais en l’état de magicien, la chose tenait de Dieu pour la délivrance des
hommes et qu’on ne pouvait donc y déceler l’œuvre du Malin.
Aldomontano demeura un instant songeur puis il
baissa le capuchon de sa robe de moine et le loup-garou étouffa un cri d’effroi.
Quittant sa vivacité coutumière en très
inhabituel instant, la petite voix pointue et méchante expliqua avec soupçon de
lassitude :
— C’est là l’œuvre du premier loup-garou
dont je croisai la route et qui est à présent avec moi docile comme un agneau. Celui-là
s’appelle « Rouge », les deux autres « Bleu » et « Vert »
quand toi tu seras « Jaune ». Comme tu le constates, il ne me reste
qu’un œil car « Rouge » a gobé l’autre et l’a aussitôt avalé mais
cela n’empêche point que je surveillerai ton application à obéir et tes progrès
en le métier des armes où vous devez être les meilleurs.
Le loup-garou, qui allait s’habituer au nom de
« Jaune », observa le visage ravagé. L’orbite droite se trouvait vide,
la joue droite avait été dévorée jusqu’aux os tandis que sur le devant et le
côté on voyait les dents partout apparentes comme il en est des squelettes. Le
nez n’était plus qu’un trou, et la bouche pareillement, les lèvres ayant été
mangées.
Le moine italien eut un petit rire désagréable
et ajouta :
— Comme tu le vois, je n’ai plus
grand-chose à craindre s’il te venait mauvaise humeur mais il se trouve qu’à
présent je ne supporte des loups-garous que bonnes dispositions à me servir. En
cas de désobéissance, il n’est qu’une sanction, la mort, et des plus affreuses
car tu serais livré à la populace qui aurait tôt fait de te lyncher avant que
de te brûler vif.
— J’obéirai, Maître !
Satisfait, Aldomontano remit en place son
vaste capuchon et appela aussitôt ses gens.
13
Jean Bohrange, hardi marin de Dunkerque et
capitaine barbaresque qui ignorait la défaite, eut peur pour la première fois de
sa vie.
Le Dragon Vert courait sur l’eau, manœuvrait à la perfection, utilisait son artillerie avec
précision qui faisait frémir le Dunkerquois. Pour lui, Nissac n’était point
simplement un Voleur de Vent mais le diable en personne et son navire, le chien
de chasse des mers et océans.
Ne voulant point demeurer en fascination
impuissante de son ennemi, fascination qui paralysait l’initiative, Bohrange
fit effort de volonté comme pour écarter un charme délétère et donna ses ordres
afin qu’on dérobe en se rapprochant des terres de Barbarie.
Par cette manœuvre, le Dunkerquois comptait
surprendre le bâtiment royal et mettre à profit ce temps pour fuir à l’horizon
mais les choses ne se passaient pas ainsi qu’en son espérance.
Fidèle à son habitude, Nissac n’avait point
perdu un instant à tourner autour du premier galion, celui de Van Dick. Il
avait
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