Le Voleur de vent
s’impatientait. Il reprit
cependant :
— Monsieur le comte, Van Dick promit qu’une
fois les trésors en lieu sûr, il ramènerait le seigneur Yasatsuna en son
lointain pays. Il ne l’eût point fait mais vous, ne l’abandonnez pas car grande
est sa mélancolie des petits matins clairs en les jardins précieux du Japon.
— Je veillerai à la chose !… répondit
le comte de Nissac soucieux à l’idée qu’il engageait ainsi sa parole en ne
sachant pas comment la tenir, mais en l’irrévocable résolution de ne point
faillir.
Le chirurgien, satisfait, sourit puis se cabra
brusquement et rendit son âme à Dieu.
Le comte de Nissac
fit voiler les tambours de crêpe noir et, l’équipage aligné sur le pont, on
donna le corps du chirurgien à la mer.
Bientôt, Le Dragon Vert mit le cap sur
Toulon mais, bien qu’il fût à la voile en toute la toile possible, et que le
vent se trouvât des plus favorables, le galion du vice-amiral allait à très
petite allure en la raison qu’il ramenait en son sillage, solidement arrimés, le San Francesco, repris au capitaine Bohrange, et le Santa Maria, qui
fut un temps propriété usurpée de feu le renégat Van Dick.
Lors d’une rapide visite, le comte de Nissac
se persuada que la cale regorgeait d’or, de pierreries et de vaisselle
précieuse à l’égal du San Francesco, si bien qu’il se décida à envoyer
pigeon au Louvre, directement. Il n’en faisait jamais tel usage, utilisant d’habitude
pigeons dressés à revenir à Toulon mais devant l’importance de la Prise, il ne
lui semblait point douteux qu’il devait prévenir, à défaut du grand amiral, monsieur
de Roquelaure en utilisant ce pigeon exceptionnellement robuste qui ne
connaissait que le Louvre pour point de ralliement.
À présent, le vice-amiral présentait Yasatsuna
à ses officiers.
Le seigneur japonais considéra avec
bienveillance le baron de Sousseyrac, s’inclina, puis :
— Zire de Zouzzeyrac très fort, très
rapide, très puissant !… Vous très redoutable tueur de pirates, beaucoup
occire eux !… Vous samouraï peut-être un jour, si beaucoup travail.
Le géant balafré, flatté que son mérite fût
ainsi reconnu par un homme de l’art, balbutia :
— Eh bien… Seigneur Yama… Tsa, non Tsé… c’est
grand honneur que vous me faites.
La duchesse Inès de Medina Sidonia, qui s’était
éclipsée à la fin de la bataille pour mettre de l’ordre en sa belle chevelure
rousse, réapparut.
Le seigneur Yasatsuna ne crut point nécessaire
de s’incliner devant elle et demanda au vice-amiral :
— Elle votre créature à plaisir ?…
Nissac comprit immédiatement que le samouraï n’avait
point représentation exacte du rang de la jeune femme ni du rôle qu’elle tenait
à bord, aussi précisa-t-il :
— La duchesse Inès de Medina Sidonia
appartient à l’une des plus grandes familles espagnoles.
Le Japonais sourit.
— Oh, espagnols ?… J’ai tué beaucoup
eux quand je me trouvais sur bateau de Van Dick. Eux très braves mais trop
pressés. Et peu de souplesse en le jarret.
La duchesse ouvrit son éventail et détourna le
regard en affectant air de bouderie qui la rendait plus belle et plus désirable
encore.
Puis, à la stupéfaction de l’équipage, le
seigneur Yasatsuna gagna le gaillard d’avant et s’assit sur les talons, jambes
croisées, la colonne vertébrale très droite, le menton rentré vers la poitrine
et visiblement l’esprit absent en une position qu’on sut plus tard appelée Zazen.
Autant l’avouer, le seigneur Yasatsuna n’avait
point achevé d’étonner le monde…
18
En les tristes paysages noyés dans un
brouillard glacé qui entouraient le château des chimères, il faisait un froid
de gueux.
« Jaune », en la cave voûtée dont
une grille interdisait de s’échapper, hurla avec les autres loups-garous.
L’heure du dîner approchait, la faim
commençait à tenailler son ventre mais là n’était point raison principale de
son comportement.
« Jaune » se trouvait en grand
bonheur de hurler ainsi car il se sentait accepté en la confrérie, ses
congénères qui l’avaient si mal accueilli peu avant.
Il se souvint de son arrivée, trois jours plus
tôt, à la nuit, en compagnie du moine qui n’avait plus visage humain. Une
chouette hululait peureusement quand au détour d’un chemin il découvrit ce lieu.
La lune d’hiver éclaboussait d’argent liquide les ruines du château fort.
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