Le Voleur de vent
puissant seigneur, craint et respecté.
Il se tourna vers Graziano :
— Tenons-nous prêt à ménager fort
désagréable surprise à monsieur l’amiral de Nissac.
Van Dick et Graziano sourirent en grande
complicité et joie renouvelée en l’idée de l’usage prochain de leur invincible
arme secrète…
Il gelait à pierre
fendre.
La terre des chemins était dure comme la
pierre et la lune éclairait le paysage d’une lumière métallique.
Vittorio Aldomontano avait abandonné l’escorte
royale et la cage roulante depuis près de quatre lieues afin qu’on ne connaisse
point son sombre repaire et il allait seul, à présent, avec la créature qu’il
avait arrachée au bûcher.
Le loup-garou, qui répondait depuis peu au nom
de « Jaune », marchait d’un pas léger, surprenant de la part d’un
homme si fortement charpenté. Il ne portait point de chaînes, ni aucune entrave,
et obéissait parfaitement à la voix, comme on l’attend d’un molosse dressé en
les règles de l’art. Il ne s’éloignait jamais à plus d’une toise et l’Italien s’étonnait
de pareille docilité. Au reste, tous ses loups-garous, celui-là comme les trois
autres qu’il tenait cachés en les souterrains du château en ruine, manifestaient
grande obéissance. Les choses étaient ainsi que les aberrations de la nature
réservaient des surprises, telles leur propreté après qu’ils eurent mangé en
état de saleté repoussante, ou bien encore leur façon de garder le silence des
heures entières, où ils semblaient ne respirer pas même, attentifs, oreilles
dressées et regards impavides sous les têtes de loup.
Et Aldomontano, qui aimait comprendre chaque
chose afin d’aiguiser son intelligence, se heurtait au fait que ses quatre
loups-garous n’avaient au départ rien de commun. « Jaune » avait
travaillé en l’étude de son père notaire, « Rouge », le premier
dressé après qu’il l’eut défiguré, était au départ un aristocrate de vieille
lignée en la région de Lorraine, ayant domaines en Aunis, Saintonge et
Angoumois. Mais « Vert », lui, né dans le Perche, venait de la tourbe,
du bas peuple, et fut tour à tour crocheteur puis estafier, ces laquais armés
portant livrée de leur maître. Ayant ferré la mule [4] lors des approvisionnements, renvoyé, on le connut tire-bourse quand
lui vint sans qu’il pût jamais l’expliquer le goût du sang d’enfant. Enfin, bien
différent encore se trouvait être « Bleu », jadis vaillant capitaine
d’un régiment d’Auvergne. Atteint d’un coup de fauconneau [5] , il traînait quelquefois la jambe, boitant légèrement sans qu’on
puisse vraiment le dire stropiat [6] . Un
temps, il avait fréquenté d’autres anciens soldats : chevau-légers à
jambes de bois, canonniers aux bras coupés, pétardiers sans plus de visage… Puis,
à lui aussi vint le goût du sang d’enfant sans qu’il pût nommer la raison.
Aldomontano frissonna. Le froid pénétrant lui
fit songer par contraste à son Italie natale. Rome !… Le palais aux Santi
Apostoli où l’on appréciait sa présence, et ces autres de Fracati et de Marino.
Rome, ces ruelles obscures, l’étouffante chaleur, l’été, sur les quais du Tibre
où se retrouvaient, nombreux, ceux qui avaient goût pour Sodome ou ceux, plus
indécis, qu’on disait « à poils ou à plumes ». Et ces rendez-vous de
libertins en de belles demeures où coulait à flots le Spumante du Piémont jusqu’à
ce que, lassé de l’orgie, on s’amuse à guetter les juifs du ghetto de la Via
Merulana pour les voir en leur Kabbale, à moins que l’on ne préférât entrer en
complicité avec les alchimistes qui s’adonnaient à la magie blanche.
Libertin, beau et insouciant, Vittorio
Aldomontano avait été tout cela et en conservait grande nostalgie.
Il regarda longuement le dos puissant du
loup-garou puis, se décidant, ordonna :
— Halte !… Es-tu si pressé d’arriver
en le château des Chimères où blanchissent par centaines les os humains ?…
Devant l’incompréhension manifeste de « Jaune »,
l’Italien précisa :
— Ainsi est nommé le lieu où tu vivras
dorénavant et qui fut jadis un des nombreux châteaux des nobles Mortemart.
Aldomontano observa le vol gracieux d’un
rapace nocturne dont les ailes déployées masquèrent un instant la lune, puis
reprit :
— Il en sera ainsi jusqu’au jour où vous
sortirez en pleine lumière, vous, la garde personnelle la plus
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