Le Voleur de vent
gaillard d’avant, penché
sur le pont où le seigneur Yasatsuna, très petit pinceau à la main, exécutait
motifs étranges.
Il commenta, à l’intention du vice-amiral :
— Le caractère ryn veut dire
dragon. Comme votre Dragon Vert.
Nissac hocha la tête, silencieux, mais admira
la manière dont ce dessin avait été exécuté d’un seul trait.
Il saisit un parchemin abandonné sur le sol et
désigna le motif :
— Serait-ce là un renard, monsieur de
Yasatsuna ?
— C’en est un, admiral. Lui renard inari, représente un des esprits.
D’un trait vif, le seigneur venu du pays du
Soleil Levant dessina joli portail en expliquant :
— Et ça, torii, grand portail
rouge. Lui permet arriver en monde invisible et ses créatures, les kamis, qui
sont les esprits. Vous comprendre cela, admiral ?
— Amiral, il n’est point de « d ».
Oui, je crois comprendre. Mais ces figures, comment trouvent-elles leur sens ?
Faut-il les mettre toutes ensemble pour conter quelque histoire ?
Le samouraï adressa regard rusé au comte de
Nissac.
— Vous, admiral, cherchez toujours à
comprendre. Tout cela ensemble fait emaki, qui se déroule en le sens de
l’écriture. Pour art du pinceau, il faut attention, éveil au monde et exigence.
Très bon pour guerriers. Plus redoutables pour servir leur seigneur.
— Tous les samouraïs servent grand
seigneur ?
— Toujours. En France, en Espagne, baron
obéir et servir duc, duc servir votre roi, semblable chose. C’est le bushido, la Voie du guerrier, la façon de l’honneur. Nécessaire pas s’enrichir. Peu
posséder, peu manger. Le Daimyô exige beaucoup allégeance.
— Vous n’avez plus d’encre, monsieur de
Yasatsuna.
— Nous ferons sans, admiral ! répondit
le samouraï en brisant son fin pinceau.
Puis, souriant, il ajouta :
— Il faut savoir se passer de toutes
choses, admiral, sinon devenir pauvre esclave.
— Mais vous ne l’êtes point, monsieur de
Yasatsuna.
— La gloire de mes ancêtres n’est pas
inconnue !… Je descends de la famille du général Ashikaga qui, depuis ce
général, a toujours suivi la voie des guerriers. J’appartiens à la vingt-septième
génération. Toujours l’art de la guerre et grande curiosité pour autres choses.
Apprendre médecine par herbes et points sur le corps. Apprendre jouer kota [9] et Shakuhachi [10] . Vous
connaître musique, admiral ?
Nissac regarda au loin, souriant vaguement :
— Le violon, autrefois… On nous attend à
ma table, monsieur de Yasatsuna.
Grande table se
trouvait en la salle du gaillard d’arrière située sous la dunette, aménagement
récent où le vice-amiral, accompagné de ses plus proches officiers, recevait
pour les repas l’unique femme se trouvant à bord.
Ainsi, outre Nissac, on pouvait remarquer son
second, Paray des Ormeaux, le capitaine de Sousseyrac, le lieutenant Martin Fey
des Étangs, le seigneur Yasatsuna et la ravissante duchesse Inès de Medina
Sidonia.
Celle-ci éprouvait quelque répugnance à
observer le samouraï qui, à chaque repas, mangeait à l’aide de baguettes
poisson cru coupé en fines tranches mais aussi algues séchées. Au reste, apprenant
la chose, l’équipage tout entier refusait de croire possible qu’homme puisse se
délecter d’algues.
Et pourquoi pas des coquilles d’huîtres ?
disait-on en esprit de moquerie.
Monsieur de Nissac, seul, ne s’en formalisait
point, semblant toujours lointain et évasif dès lors qu’il se trouvait en
compagnie.
Cependant, la duchesse de Medina Sidonia
évitait le regard du samouraï car, chaque nuit, l’un et l’autre se retrouvaient
en points différents du navire pour observer semblable spectacle. C’était là
leur secret, mais ils n’en parlaient pas, éprouvant d’ailleurs impressions et
sentiments qui leur étaient propres.
Chaque nuit, lorsque paraissait la lune, le
vice-amiral sortait en grande discrétion, regardait longuement l’astre mort, puis
ôtait son merveilleux chapeau à plumes vertes, bleues et blanches. Il saluait
alors en grande cérémonie, son panache de couleur frôlant le bois du pont.
Le fils du pays du Soleil Levant tenait Nissac
en haute estime. Il avait deviné le grand capitaine, le marin habile et le
soldat tout de vaillance mais si tout cela était bel et bon, inclinant le
samouraï au respect, l’estime venait d’ailleurs. Il soupçonnait chez Nissac
esprit libre en une époque et une société qui ne l’étaient
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