Le Voleur de vent
l’amour !…
— L’amour ?… J’en vois certains
effets et m’en amuse fort. J’ai croisé des hommes amoureux : l’un pâmait
de ci, l’autre chancelait par le travers quand un troisième pantelait de là. Ce
n’est point gracieux spectacle.
— Vous n’aimerez donc jamais ?
Il se tut. Puis, après un long silence :
— Quelle belle nuit étoilée, ne
trouvez-vous point ?
Mais ces paroles, autant destinées à ne point
laisser la duchesse discourir sur sujet si brûlant qu’à tenir à distance le
grand trouble qui l’envahissait, furent sans effet sur Inès de Medina Sidonia.
Elle, avait choisi. Comme seules savent faire
les femmes en cette détermination des plus admirables qui est la leur pour les
choses de l’amour.
Elle s’approcha à deux pas, il la dominait de
deux têtes.
Il n’empêche, elle ne vit plus la haute
stature du vice-amiral, oublia sa témérité en les batailles et cette fausse
indifférence qui, en le reste du temps, égarait les imbéciles. Elle vit, en cet
instant, Thomas de Pomonne comte de Nissac tel qu’on pouvait l’imaginer à seize
ans, troublé par l’odeur d’une femme, affolé par les réactions de son propre
corps.
Alors, d’un geste léger, elle effleura la joue
du comte de Nissac et colla son frêle petit corps de grande-duchesse espagnole
contre celui qui paraissait indestructible de l’homme qu’elle aimait.
Puis, elle se sentit soulevée de terre par
deux bras solides comme des chênes. Il la tenait ainsi à sa hauteur. Ils se
regardèrent longuement.
Le Dragon Vert semblait glisser sur la vague tant la mer se fit douce, peut-être pour
faciliter entreprise de ce marin qui toujours l’avait respectée.
Alors, à la lumière d’une lune complice elle
aussi et tandis que filait une étoile sur fond marine, la duchesse embrassa le
vice-amiral.
Et ce fut bien le premier abordage en lequel
monsieur de Nissac n’eut point l’avantage, rendant les armes sur-le-champ et
capitulant sans conditions…
27
Comme le découvrirent ceux du Dragon Vert, et
le tout premier leur commandant, le vice-amiral de Nissac, les Espagnols sont
peuple de grande noblesse, mais la simplicité n’est certes point leur qualité
première.
Ainsi, Le Dragon Vert fut-il autorisé à
accoster en le port de Barcelone, mais en endroit qui se trouvait à l’écart des
principales activités maritimes, à proximité d’un bassin de radoub à l’abandon.
Émissaire très cérémonieux finit par monter à
bord du bâtiment de la marine royale française pour annoncer que seul, le comte
de Nissac était autorisé à descendre à terre afin d’y rencontrer le gouverneur
et personnage qui ne consentit point à dire son nom, se trouvant sans doute
ministre ou haut conseiller de Philippe III, roi d’Espagne.
Lors de cette rencontre, on aborda en grande
courtoisie affaire des deux galions espagnols repris aux barbaresques par le
comte de Nissac mais celui-ci ne variant guère en sa position, et ne
faiblissant point sur sa détermination, les Espagnols n’insistèrent pas.
On remercia alors, au nom du roi d’Espagne, le
vice-amiral d’avoir délivré la duchesse de Medina Sidonia mais comme le
Français répliquait que c’était là chose naturelle, et s’enquit du même coup
des raisons pour lesquelles la duchesse n’était point descendue à terre, il lui
fut répondu que la chose se produirait, mais seulement en fin d’après-midi.
Après avoir congédié les autres, le ministre, à
moins qu’il ne fût conseiller, suggéra alors que le comportement du vice-amiral
de la marine royale française méritait récompense, et par exemple très forte
somme en or dont l’impressionnant montant fut révélé mais voyant Nissac se
raidir aussitôt en un refus hautain, l’Espagnol, de grande compréhension des
choses humaines et des caractères altiers, se retira promptement de cette
entreprise, précisant tout de même avec quelque fermeté :
— Monsieur l’amiral, vous obligeriez la
couronne espagnole en acceptant un témoignage de sa gratitude car, en le cas
contraire, Sa Majesté le roi se trouve votre débiteur et telle situation n’est
point en les usages royaux.
Nissac prit à dessein ton d’indifférence, voire
d’ennui :
— Soit, je pense en effet à quelques
avantages qui me procureraient plaisirs et permettraient à votre roi d’estimer
ne plus rien me devoir.
— Parlez, Monsieur, ces choses vous sont
par avance acquises ! répondit
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