Le Voleur de vent
monsieur l’amiral ?
L’air lointain, Nissac répondit :
— N’étant point barbare, je ne mange pas
de chair de jeune femme et ne puis donc juger du bon état de sa cuisson.
Le ministre se trouvait en grand étonnement du
calme de monsieur de Nissac. Toujours, et quelle que fût leur vaillance, les
étrangers pâlissaient en voyant ces tortures. Le Français, lui, ne semblait
guère ému et paraissait s’ennuyer.
Le ministre lui fit voir alors « le
berceau de Judas », qui n’est rien d’autre que le supplice du pal où homme
attaché par les pieds et les poignets est descendu sur bois pointu qui pénètre
en son fondement jusqu’à déchirer l’intestin.
Voyant Nissac perplexe, le ministre triompha :
— Le procédé est d’aujourd’hui pour bien
vieux supplice. Ah, vous êtes songeur…
— En effet, monsieur, en effet !… Voyez-vous,
je me demandais quels sodomites grimaçants hantaient l’esprit et le bas-ventre
de celui qui inventa cette chose si grotesque.
Le ministre capitula. Il avait voulu effrayer
Nissac, dont le maintien l’agaçait, et n’avait récolté en cette entreprise que
certitude absolue : le regard de pitié du Français trahissait son humanité
mais rien ne brisait sa volonté de ne la point laisser paraître.
Ils croisèrent alors jeune bourreau qui allait
d’un pas vif, tenant par les cheveux tête coupée.
— On s’occupe beaucoup, ici !… remarqua
Nissac, ironique.
Le ministre, cette fois, ne perçut point la
malice et répondit :
— Celui-là était palefrenier. Nous l’avons
tenaillé au fer rouge, brûlé la main droite en un gaufrier, émasculé, cœur et
entrailles furent arrachés et corps mis en quartiers.
— Et vous gardez la tête en souvenir d’un
si dur labeur ?… demanda Nissac en souriant.
— Non point, elle sera fichée au bout d’une
lance et plantée quelques jours devant l’entrée du palais.
— L’inconvénient étant qu’elle attirera
les mouches.
Le ministre comprit que monsieur de Nissac n’était
point sérieux et ne retint pas un franc sourire. À mesure qu’il le connaissait,
il appréciait le Français. Celui-ci n’était point homme qui montre ses qualités
masculines par jurons, voix forte, main à l’épée au premier prétexte, gros rire
en compagnie d’autres hommes pareils à lui en ces choses affligeantes.
L’amiral parlait souvent à mi-voix. Il
semblait considérer la vie en ce qu’elle peut avoir de drôle, se trouver sans
doute faible en son humanité qu’il se gardait pourtant de montrer, devait aimer
la solitude mais il avait au fond de ses étranges yeux gris lueur telle qu’on devinait
redoutable sabreur et volonté que rien, jamais, n’arrêtera.
Un homme rare.
— Et qu’avait donc fait la tête ?… Je
veux dire : feu le palefrenier ?
— Ah, grand crime !… Meilleur
élevage d’Andalousie tenait comme son trésor le plus cher cheval de deux ans, bête
la plus belle que je vis jamais en ma vie et plus rapide coursier qu’il puisse
exister ici-bas… On le destinait à Rodolphe de Habsbourg, empereur germanique. Mais
ce maudit palefrenier, par haine du roi, porta aux yeux du cheval poudre qui le
rendit aveugle. Pourtant, on ne s’aperçut point en l’instant de la chose, les
yeux demeurant intacts et fort beaux.
— Ce cheval, est-il haut ?
— C’est une bête plus haute que les
autres, grande et massive.
— La couleur de sa robe ?
— Noire.
— Pourrais-je le voir ?… demanda l’amiral.
Le ministre fut surpris :
— C’est que… Le boucher devait le venir
prendre pour équarrissage car cheval aveugle n’a point son utilité. Allons
cependant nous en assurer.
Et, tandis qu’ils gagnaient la sortie du
palais, le comte de Nissac ne put se défaire de cette impression qui était
sienne depuis qu’il avait quitté Le Dragon Vert : on le suivait.
Et homme qui le suivait avec si diabolique
habileté devait être adversaire de grand talent…
En effet.
Il s’appelait Juan de Sotomayor, un nom dont
il faudra se souvenir !… Colonel de cavalerie, soldat exceptionnel, il
avait une mission simple : tuer le vice-amiral comte de Nissac. Mais point
sur le sol espagnol.
28
Ils arrivèrent sous tempête de neige et
Aldomontano, son visage mutilé toujours dissimulé par le capuchon de sa robe d’ambrosien,
lança de sa petite voix irritante :
— Bienvenue en le château des chimères !
Puis il rit.
À une lieue du château en
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