Le Voleur de vent
magique :
le Français au beau chapeau à plumes remontait ceux qui le précédaient. Ainsi, on
le vit bientôt cinquième, quatrième, troisième, second…
La course allait finir après le saut du
dernier obstacle et sur la longue ligne droite finale, Nissac, magnifique
cavalier couché sur l’encolure de son cheval qu’il sollicitait du plat de la
main attaquait – pour l’honneur ? – le très probable vainqueur.
En les tribunes, c’était le plus furieux
délire. On s’évanouissait, hurlait, se griffait le visage en criant sa joie à
pleins poumons car ce qu’il y a de noble et de grand en l’homme et la femme
sera toujours sa joie qu’en les choses humaines les faibles, les malades et les
mutilés puissent vaincre les puissants parmi les puissants.
On n’avait point entendu ceux du Dragon
Vert, lorsque…
Tel un redoutable roulement de tonnerre venant
du « coin des Français » où se trouvaient impeccables, en carré
compact, les deux cents officiers, soldats et marins, on entendit en cadence
scandé tel le nom de César acclamé par ses légions :
— Nissac !… Nissac !… Nissac !…
Sur la piste, les deux chevaux se trouvaient à
présent à même hauteur, les cavaliers au botte à botte mais, tandis qu’on
allait passer le fil, le grand cheval aveugle eut un sursaut.
Et l’emporta d’une encolure, mais sans coup
férir.
Un profond silence tomba sur l’endroit.
Philippe III, qui pour être roi n’en
était pas moins homme, eut difficultés à dissimuler l’émotion qui étreignait
son cœur devant spectacle d’une pareille beauté.
L’homme avala sa salive à plusieurs reprises, et
battit des paupières pour chasser vision si merveilleuse. Le roi refusa de
saluer le Français et lança paroles politiques qui se trouvaient être grande
menterie :
— Il n’est nulle surprise !… Avec un
cheval destiné à l’empereur d’Allemagne, seul un maladroit eût échoué.
Mais les Espagnols, qu’ils fussent nobles ou
appartinssent au peuple, ne partageaient point tel jugement et l’on fêta le
comte de Nissac en lui jetant fleurs, jolis mouchoirs et chapeaux à plumes
tandis que des « vivats » montaient de milliers de poitrines.
Le colonel de
cavalerie Juan de Sotomayor qui suivait Nissac depuis son arrivée en Espagne et
avait ordre de le tuer quelque jour prochain fut lui-même en grande émotion. Mais
nul cœur ne battit plus vite, ce jour-là, que celui de la duchesse Inès de
Medina Sidonia…
29
Dans les chaumières où l’eau gelait en les
cruches, on entendait des cris de loups-garous exultant au clair de lune qui
argentait les flocons de neige tombant drus.
Ils battaient la campagne, égorgeaient chèvres
et moutons, se répondaient à travers les coteaux en lançant longs hurlements. En
leurs lits, les paysans tremblaient de peur et les couples glacés tant par le
froid que par la terreur se serraient plus fort que jamais.
En cette nuit désolée de grands débordements, la
campagne appartenait aux forces du mal que dégorgeaient les plus noirs enfers.
Non loin, et sans qu’il faille s’attarder à
telles horreurs, quatre petits enfants attendaient en quatre cellules closes de
solides barreaux.
Ils pleuraient doucement, sans grands sanglots,
sur le malheur d’être arrachés à leurs familles et jetés en un monde où la
violence extrême paraissait l’ordinaire.
Pourtant, ils n’avaient encore rien vu…
Visages dissimulés
derrière leurs étranges cagoules coniques, ceux que Vittorio Aldomontano
appelait « les douze apôtres », et qui n’étaient que dix ce soir-là, échafaudaient
leurs plans minutieux.
L’homme qu’ils cherchaient existait, mais ils
ne l’avaient point encore trouvé.
Cela n’allait pourtant pas tarder.
Du haut d’un balcon,
la duchesse de Medina Sidonia attendait, et des milliers d’autres avec elle en
les rues de Barcelone éclairées par des centaines de torches.
Vexé que la fine fleur des cavaliers et des
chevaux espagnols ait été battue par un Français montant un cheval aveugle – quel
fâcheux symbole ! –, Philippe III d’Espagne avait ordonné que les
hommes du Dragon Vert et leur amiral embarquent de nuit.
Sans tarir en rien la ferveur populaire.
Une immense clameur précéda les Français et la
duchesse se pencha dangereusement pour y mieux voir.
Les pavés de la rue menant au port étaient
jonchés de milliers de pétales de fleurs et bientôt, sur son haut cheval
aveugle,
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