Le Voleur de vent
Thomas de Pomonne, comte de Nissac et vice-amiral des mers du Levant
parut, précédé d’un enseigne portant drapeau fleurdelisé.
Il allait au pas lent de sa monture, insensible,
en apparence, aux centaines de fleurs qu’on lui jetait. Ses yeux gris s’attardèrent
un instant sur le balcon où se trouvait la ravissante duchesse et leur froideur
fit place à quelque chose de tendre, de rieur et d’enfantin.
Alors, et tandis que la foule laissait
échapper un « Oh ! » étonné, le comte de Nissac, en un geste de
grande élégance, ôta son beau chapeau à plumes et salua la duchesse.
Certains Espagnols furent enchantés qu’une des
leurs ravît cœur de semblable héros mais bientôt, roulements de tambours et
mélodie fluette des fifres accompagnés du martellement régulier de bottes leur
fit tourner la tête.
Mousquetaires en tête, qui avaient placé
fleurs en les canons de leurs mousquets, les deux cents soldats et marins du Dragon Vert avançaient en un bloc compact, uni, soudé, encadrés au plus
près par leurs officiers en grande tenue.
Les fleurs pleuvaient sur les Français et
quelques femmes durent se détourner de leurs maris pour dissimuler leurs larmes
tant ceux qui partaient laissaient de bons souvenirs…
En un vieux château
du pays de Provence, un homme jeune encore, Louis de Sèze comte de La Tomlaye, se
trouvait au désespoir.
Sa sœur Élisabeth mangeait à peine, et sa maigreur
se voyait au premier regard.
Louis qui aux galères avait eu un commerce
prolongé avec la mort n’en doutait point : Élisabeth caressait l’idée de
ne plus vivre. Et lui-même en arrivait à penser qu’il eût mieux valu qu’il
disparaisse que d’assister en grande impuissance d’agir à spectacle si désolant…
Mais la mort qui
rôdait semblait en grand appétit.
Ni les petits enfants livrés à la barbarie des
loups-garous, ni Élisabeth de La Tomlaye n’auraient su rassasier sa goinfrerie.
Et c’est à grands coups de faux qu’elle
espérait moissonner parmi ceux, bons ou mauvais, qui apparaissent en la longue
histoire qui vous est contée ici…
FIN DE LA PREMIÈRE
ÉPOQUE
SECONDE ÉPOQUE
LE MARCHAND D’OUBLIES
30
DÉBUT
DE L’AN DE GRÂCE 1610…
Chose qui aurait pu
changer le cours de l’histoire, et de bien peu s’en fallut, commença par simple
rencontre entre deux hommes d’Église. Des hommes qui ne se trouvaient point
être hauts prélats et dont la mise, tout au contraire, n’eût pas éveillé l’intérêt
des mendiants.
Le premier, un père jésuite appelé Coton, n’était
pourtant rien moins que le confesseur du roi Henri quatrième.
Le second était capucin de l’ordre fondé par
Saint-François d’Assise. Il s’appelait Joseph du Tremblay mais les chroniques
se souviendront de lui sous le nom de « Père Joseph ». L’homme
parlait italien, anglais, espagnol, allemand, latin, grec, hébreu, et tels dons
ne se trouvaient point démentis par l’agilité d’esprit dont il faisait preuve
en toutes occasions. Mais là ne s’arrêtaient point ses mérites car il avait su
discerner entre tous grands talents de futur homme d’État en la personne d’un
certain Armand Jean du Plessis de Richelieu, évêque de Luçon. Pour le mieux
servir, et encourager la grande ambition du jeune évêque, Joseph du Tremblay s’était
adjoint en cette cause un abbé de Cour nommé Luc de Fuelde, homme d’intelligence
subtile qui s’était ménagé des amitiés chez les puissants, les utilisant
parfois pour son usage. C’est ainsi qu’il venait de réussir à faire entrer
comme officier aux Gardes Françaises un sien cousin récemment libéré des
galères barbaresques par le vice-amiral de Nissac, et qui se nommait Stéphan de
Valenty…
Les deux ecclésiastiques s’étaient retrouvés
en la boutique d’un tailleur, homme des plus sûrs à en croire Luc de Fuelde
agissant pour Joseph du Tremblay. Et de fait, le tailleur ne montra nulle
indiscrétion ; gênés pourtant de ne point être seuls mais, voyant que la
boutique ne se trouvait pas vide, les hommes d’Église empruntèrent autre entrée.
En effet, si la boutique ouvrait sur la rue, son
étal en plein vent, on pouvait cependant y accéder également par passage
latéral.
En toute apparence, le tailleur qui n’avait
point été informé de l’heure d’arrivée de ses visiteurs était occupé avec son
courtier et son commissionnaire, le facteur, par bonheur, n’ayant point déféré
à la
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