Le Voleur de vent
convocation de son commettant.
Le tailleur n’éprouva point de difficulté à se
débarrasser de ses employés et apprentis, fermant la boutique aussitôt qu’ils
furent partis.
Après échange de politesses et compliments
réduit au strict minimum, le confesseur de roi ne tarda pas davantage pour
aller au fait :
— Un vent détestable souffle actuellement
sur le royaume !
— La guerre est proche !… répondit
le Père Joseph.
Les deux hommes n’ignoraient point qu’en l’année
passée, et tout spécialement au long de l’été 1609, nombreuses escarmouches
avaient eu lieu le long de la frontière de Navarre entre Français et Espagnols.
Pareillement, tous deux savaient qu’agissant discrètement pour l’intérêt d’Henri
quatrième le gouverneur du Béarn et de la Navarre, Jacques Nompar de Caumont, duc
de La Force, avait fomenté par pratiques secrètes troubles en Navarre.
— L’armée est prête ! répondit le
Père Coton.
— Mais les esprits ne le sont point.
— À quoi pensez-vous ?
Le Père Joseph hésita. Il estimait que le
jésuite allait un peu vite en besogne. Cependant, la chose lui paraissait
finalement préférable car de tous côtés, du moins en les endroits présentant
certain intérêt, arrivaient nouvelles alarmantes sur complot de puissants
seigneurs.
Le Père Joseph regarda Coton droit dans les
yeux.
— Un complot s’organise.
— Nous en avons également connaissance
mais ne savons rien des détails et pas davantage le nom des comploteurs.
Le Père Joseph retint un sourire, tant ce « nous »
qui englobait l’ordre des Jésuites lui semblait abusif. Certes, Coton et d’autres
étaient en grande fidélité au roi mais de nombreux jésuites ne se trouvaient
point en ces dispositions de loyalisme, considérant toujours le roi comme un
hérétique.
Le Père Joseph, en son caractère, ne cultivait
point la vanité, aussi ne s’attarda-t-il pas au fait qu’en leur organisation, et
considérant la cause qui réunissait les deux hommes, les jésuites ressemblaient
à rivière demi-asséchée quand l’ordre de Saint-François bénéficiait, pour
demeurer en cette image, de l’apport de milliers de ruisseaux.
Par lesquels ne manquaient pas d’arriver
précieux renseignements…
Sentant grande anxiété chez le Père Coton, le
Père Joseph du Tremblay se décida enfin à en dire davantage :
— Les plus grands noms du royaume
seraient mêlés à l’affaire.
— Lesquels ?… demanda vivement Coton
et sa voix résonna curieusement en la boutique vide car jusqu’ici les deux
hommes d’Église s’étaient entretenus à voix basse.
— Je ne peux vous livrer qu’un nom en
certitude absolue, car celui-là est l’organisateur et dut montrer, par
nécessité de cette fonction, quelque imprudence.
— Quel est ce nom ?
— Le duc d’Épernon !
— L’ingrat !… Tant lui fut pardonné
par notre roi et voici qu’il recommence. Comme j’aimerais voir sa tête rouler
en place de Grève !… dit le Père Coton d’une voix que la colère rendait
sifflante.
Le Père Joseph ne répondit point, estimant
quant à lui qu’il n’était pas de bonne politique, en cette affaire, de laisser
sentiments altérer la froideur du jugement.
Il attendit donc que le Père Coton se
maîtrisât, ce qui ne tarda guère car le confesseur du roi se trouvait en bonne
conscience qu’il venait de commettre une faute. Aussi, c’est en chuchotement
retrouvé qu’il questionna :
— Que savez-vous d’autre ?
Joseph du Tremblay, en cet instant, entrevit
qu’il pouvait faire avancer favorablement sa cause car si, en son cœur, assassins
d’Henri quatrième provoquaient profond dégoût, il n’en servait pas moins
personnage de grand avenir qui, en d’autres temps, s’occuperait lui aussi au
mieux des intérêts du royaume :
— Je sais d’autres choses qui ne sont
point sans importance mais si défendre la personne sacrée du roi est un devoir,
il m’en est un autre, impérieux lui aussi, qui est de ne pas laisser en
situation subalterne homme de grand talent que le roi n’aime point.
Le Père Coton soupira.
— Cet évêque de Luçon, en lequel vous
voyez futur grand ministre de la couronne ?
— Il le sera quelque jour, quoi que vous
fassiez ou ne fassiez point, mais en toutes choses, j’ai la détestation du
temps perdu et votre prompt renfort serait des plus utiles à cette cause.
— J’en parlerai au roi en un
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