Le Voleur de vent
l’autre versant, monsieur
de Richelieu. Au niveau inférieur, sur chaque versant, vous et moi. Descendons
encore, nous trouvons Luc de Fuelde et son équivalent chez vos jésuites. Descendons
toujours : voyez-vous ce qui nous manque cruellement ?
Le Père Coton n’hésita point.
— Le bras armé !… Il nous faut des
hommes d’épée, les meilleurs, mais qui ne soient point truands et acceptent de
se sacrifier en silence pour le roi de France. En outre, il est nécessaire qu’ils
soient nombreux, se connaissent et soient hommes de guerre de grande valeur.
Le Père Joseph admira la prompte intelligence
du jésuite, et le rassura aussitôt :
— La chose est fort bien dite. Il nous
faut des hommes que l’on puisse envoyer au massacre sans qu’ils soufflent mot, disposant
d’un chef exceptionnel qui ne frémît pas à l’idée que son corps ira pourrir en
la voirie. Ce chef existe, c’est le vice-amiral Thomas de Pomonne, comte de
Nissac. Et la troupe unie que nous cherchons est l’équipage du Dragon Vert qui ne cesse de se couvrir de gloire.
Le jésuite prit son menton en sa main, un
instant pensif, et répondit :
— Nissac !… Discret, courageux, courtois,
attentif, voulant rester simple et ne point être une complication pour les
autres. C’est un homme admirable et, dit-on, le meilleur sabre du royaume. Mais,
pour d’obscures raisons qui m’échappent, le roi le tient en grande détestation.
— Peut-être, mais Thomas de Pomonne, comme
tous les Nissac avant lui, est de grande fidélité et loyauté à son roi. En une
telle affaire, il sera évidemment tué et avec lui, la plupart de ses deux cents
officiers, soldats et marins. Mais avant que leurs os ne blanchissent en les
fossés, ils porteront coups terribles à nos adversaires et déjoueront le
complot si nous savons les renseigner.
— Qui vous dit que Nissac acceptera ?
demanda le Père Coton.
— Je vous le répète, Nissac est un homme
d’honneur : il ne dérobera point.
— Lui parlerez-vous vous-même ?
— Certes non. Luc de Fuelde a un cousin, Stéphan
de Valenty, récemment libéré des galères par Nissac et qui sert aujourd’hui en
les Gardes Françaises. En suivant cette filière, il sera facile d’arriver jusqu’au
vice-amiral.
— C’est fort ingénieux. Et très heureux
que ce Valenty se trouve justement en les Gardes Françaises : le hasard
nous a bien servis.
Joseph du Tremblay ébaucha fugitif sourire.
— Le hasard n’y est pour rien.
Le Père Coton adressa un regard rusé à son
interlocuteur.
— Décidément, je crois qu’en effet votre
Richelieu est un fin politique !…
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Grognant, se poussant du nez et tournant en
rond, ils devenaient en état de grande nervosité et Aldomontano redouta le
moment où, échappant à sa main, ils s’égailleraient en le royaume de France, laissant
derrière eux longues traînées du sang de leurs victimes.
Puis ses loups-garous se trouvant séparés les
uns des autres, isolés, seraient un à un cernés par la populace et les belles
machines à tuer finiraient par plier sous le nombre, brûlés vifs ici, les
flancs percés à l’épieu là, massacrés en autres endroits par foule paysanne que
la peur rendrait haineuse.
Quel gâchis !
« Bleu » avait été fouetté au sang, et
« Vert » deux jours plus tard pareillement mais sans qu’ils se
calment pour autant.
Même en l’entraînement militaire, où tous
quatre excellaient, ils se montraient distraits, posant l’épée pour rêver à
petit enfant laissé captif en leur cellule telle une friandise, attaquant
sauvagement de taille et d’estoc un compagnon, en l’imagination de croire qu’il
gardait par-devers lui fillette reçue du « Maître » en manière d’avantage.
L’ambrosien au visage mutilé connaissait la
cause du mal. Et le remède.
Cependant, une fatigue lui venait à l’idée d’écumer
les villages au pas lent des chevaux traînant la lourde charrette transformée
en cage pour enfants.
Il leva son œil unique et admira le ciel bleu.
Il faisait bien froid, à faire éclater les pierres, et il fut en l’espérance
que vienne enfin le printemps s’apprêtant à donner son assaut pour balayer la
froidure et la neige.
L’idée lui vint qu’il était enfin temps de
passer à autre chose. Et cette idée le réconforta car lui aussi était las, souffrant
de ce long enfermement en les souterrains du château des chimères.
Il écarta les buissons de houx
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