L'Église de Satan
belle
parfaite ! Tu comparaîtras devant lui bien assez tôt !
Aude vit que ses espoirs d’échapper à cette
situation tragique étaient désormais vains. Sur sa gorge, la pointe de l’épée
se faisait insistante. Tendue, les poings serrés, elle ne bougeait plus. Un
dernier homme tenta de s’interposer, tandis que, partout, des cadavres et des
blessés jonchaient le sol. C’était Forças, le traître, le guide à la chemise
lacérée.
— Forças ! cria la parfaite.
Il venait de tomber à ses pieds.
— Pour d’autres vies, madame…
Il rendit son dernier soupir.
Aude, enfin, tendit les bras devant elle.
Elle se constituait prisonnière.
Héloïse hurla, prête à se jeter au
secours de sa sœur ; mais déjà, une main ferme, une main d’homme qu’elle
ne connaissait pas, s’était refermée sur son avant-bras. On la tirait, on l’entraînait
vers les profondeurs de la forêt de Pamiers !
— Venez ! Vous ne pouvez plus rien
pour elle !
Cours, Héloïse, cours !
Aude, Aude ! hurlait
encore Héloïse, tandis qu’elle courait dans la nuit, abandonnée aux bras de ces
inconnus qui la sauvaient. Ses vêtements se déchiraient au milieu des ronces et
des buissons épineux. Il lui semblait que les arbres se courbaient sur elle
pour mieux l’étouffer, que la futaie, en sa sombre et abondante végétation, cherchait
à l’avaler, dardant sur elle des serres griffues. Ses bras, ses jambes s’égratignaient
dans le noir, des perles de sang venaient consteller sa peau. Elle avait chaud
et se sentait horriblement mal. Mais Aimery et Escartille l’entraînaient encore.
Ils se hâtèrent de rejoindre leur campement et de prendre leurs chevaux.
Cours, Héloïse, cours.
Le faucon hurla dans la nuit. Héloïse l’entendit.
Elle ne savait plus où elle se trouvait, plongée dans son cauchemar. Et elle
pensa :
Ce n’était pas moi, Aude. Je te le jure !
Ce n’était pas moi !
J’ai fait bien attention.
Le guide t’a menti ! Il t’a menti !
Dès qu’ils furent hors de danger, Escartille,
Aimery et Héloïse tâchèrent de reprendre leur souffle. Au plus profond de la
forêt et de la nuit, ils guettèrent les bruits alentour. Lorsqu’il leur apparut
qu’ils étaient en sécurité, pour quelques heures au moins, ils prirent le
risque d’allumer un feu. Ils offrirent à la jeune fille quelques-unes de leurs
provisions. Haletante, ses cheveux collés sur son front par la sueur, Héloïse
pleurait, parlait par saccades. Elle leur raconta ce qui l’avait menée jusque
dans cette forêt. Bientôt, ce fut une intarissable plaidoirie. Son innocence de
jeune fille laissait place à une colère d’adulte, d’une maturité inattendue, dont
chaque mot claquait comme une gifle. C’en était trop pour sa jeune conscience ;
l’adolescente éplorée laissait place, déjà, à la femme bafouée par l’horreur de
ce qu’elle avait vu, de ce qu’elle n’avait cessé de vivre chaque jour. Sa
poitrine se soulevait au rythme des vagues de chagrin et de douleur qui la
submergeaient.
— Aude, prise elle aussi !… Le
peuple est persécuté, messires, vous le savez ! L’Inquisition ne cesse d’écumer
les campagnes pour convaincre les hérétiques ! Leur cruauté est sans
limites. Chacun se méfie de son voisin. Il n’y a plus de justice qui tienne !
Ici, les accusés n’ont aucun droit, sinon celui de préparer leur propre perte !
Dans le meilleur des cas, ils sont condamnés à des pénitences canoniques… Avez-vous
vu ces défilés, dans nos villes et nos villages ? On pousse les nôtres à
porter la croix pour hérésie, on les contraint à faire des pèlerinages, une
police de tous les instants les oblige à assister aux cérémonies et aux
sacrements, sinon on les poursuit pour un rien ! D’autres sont enfermés
dans des cachots où ils ne peuvent tenir ni debout, ni couchés… On les torture
de faim et de soif… Et pour les moins chanceux… c’est le bûcher ! Mes
parents me croient sotte. Ils pensent que je ne comprends pas tout ce qui se
passe ! Mes propres parents, si Dieus me benaziga !
La jeune fille s’interrompait encore par moments,
promenant autour d’elle ses yeux égarés et se mouchant dans le revers de sa
robe. Des flammes dansaient sur son visage.
— Et aujourd’hui, c’est Aude qu’ils ont
entre leurs mains ! Elle croit que c’est de ma faute, vous comprenez ?
Elle éclata en sanglots. Aimery lissait les
plumes de son faucon.
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