L'Église de Satan
arbres. Des ombres s’avançaient dans la forêt ; une multitude
de silhouettes fantomatiques se faufilait entre les arbres, les buissons, les
fougères.
On encercle la clairière, pensa Aude. Nous sommes découverts !
Une flèche jaillit de l’obscurité. Elle
vint transpercer le tisserand arrivé à cheval quelque temps plus tôt. L’homme s’effondra,
le flambeau à la main. Puis ce fut le tour du paysan, qu’un coup bien ajusté
sur le crâne envoya aussitôt ad patres, sous les yeux de sa femme, qui
tenait encore, tremblante, ces paniers de provisions qu’elle avait apportés
avec elle. Un autre flambeau tomba et les flammes commencèrent de lécher les
frondaisons. Des carreaux d’arbalète surgirent de la nuit. Autour de la
parfaite, trois personnes s’affaissèrent, foudroyées. La multitude ennemie se
répandait dans la clairière. Un guetteur fit une chute de vingt mètres avant de
s’écraser et de rouler sur le sol devant Héloïse, qui hurla. Les autres, échappés
de leurs branchages, se jetèrent dans la mêlée. Certains s’élancèrent dans les
broussailles et furent aussitôt cueillis par une flèche ou un coup de masse.
Une voix furieuse retentit alors.
— Sus à la secte d’hérétiques ! Je
veux que ce nid soit exterminé, vous m’entendez ?
Aude posa une main sur le bras d’Héloïse.
— Va-t’en, je t’en prie, va-t’en, plonge
dans la forêt et retourne à la maison !
Héloïse tourna sur elle-même, désemparée, ne
sachant que faire.
La parfaite redressa la tête, regardant autour
d’elle. Une confusion absolue régnait à présent dans la clairière et le feu
gagnait. Les soldats français surgissaient de tous les coins, comme autant de
diables sortant de la nuit. Ils avançaient à découvert et embrochaient à tour
de bras. Une volée de carreaux siffla encore dans l’espace. La parfaite se
tenait maintenant au centre de ces combats, environnée de flammes, au milieu
des cris et du fracas des armes. Soudain, un arbre tout entier s’alluma. Il s’embrasa
comme une torche, à quelques mètres d’elle. Les flammes et les volutes de fumée
noire montèrent vers le ciel. Bouffées de cendres, tourbillons de feuilles !
Au milieu de ce spectacle infernal, Aude, en sueur, se tourna vers le ductor :
— Par ta
trahison, ce sont d’autres vies que tu condamnes !
Le ductor se prit la tête entre les
mains et s’écria :
— D’autres vies ? Ils vous auraient
pris de toute façon, dit-il. Ils avaient un autre informateur. Ils ont suivi…
— Qui ? demanda Aude. Qui ?
Le ductor releva les yeux et tendit son index.
— Elle. Ils l’ont suivie, elle. La
petite.
Héloïse se sentit basculer dans un cauchemar. C’était
dans sa direction qu’était tendu ce doigt accusateur. Dans sa direction !
Elle se tourna vers sa sœur. Celle-ci eut
alors un regard terrible.
Un poignard, qui resterait à tout jamais
planté dans le cœur de la jeune fille.
— Mais… Aude, ce n’est pas moi ! s’écria
Héloïse en portant une main à sa poitrine. Je n’ai rien fait !
Aude se redressa. Les hérétiques tombaient un
à un. Un croyant se mit en travers, essayant de faire rempart de son corps pour
la protéger, au risque de sa propre vie.
— Fuyez ! FUYEZ ! hurla la
parfaite.
Elle tournait sur elle-même, dans sa robe
noire agitée par le vent. Elle écartait les bras, raide, toujours debout, tandis
que l’on courait en tous sens autour d’elle. Aucune arme, aucun projectile ne
semblait devoir la toucher. De la forêt jaillit alors un homme à cheval. Il
était en armure et releva le heaume au milieu du désastre. Le cheval se cabra
devant Aude, dont les tympans étaient vrillés par ces bruits de sabots, ces
hennissements affolés, ces soulèvements de terre et de poussière, ces cliquetis
de métal. C’était une masse immense, lourde, qui à elle seule semblait envahir
la place tout entière. Le chevalier français avait une chevelure hirsute, une
barbe abondante, un œil crevé. Il abattit son épée sur le croyant qui
protégeait Aude et ce dernier tomba, crachant des remugles sanglants. La pointe
de l’épée fut aussitôt contre la gorge de la parfaite.
— Aude de Lavelanet, ton âme est à moi !
— La honte soit sur vous, dit-elle sans
esquisser le moindre geste, redressant le buste dans une profonde inspiration. La
honte soit sur vous ! Vous tuez des innocents au nom de Dieu !
— Laisse donc ton Dieu où il est,
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