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L'Église de Satan

L'Église de Satan

Titel: L'Église de Satan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnaud Delalande
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trouvaille, jubilant tout haut de son ignoble forfaiture ! La
vieille n’eut pas d’autre solution que de s’obstiner… Elle, qui sentait l’imminence
de sa mort et se savait condamnée de toute façon, ne pouvait plus rien changer
à ses dires. Alors Aguilah fit mander le viguier. Ils la jugèrent devant son
lit, en lieu et place de son agonie. Elle les regardait, ses cheveux gris
encadrant son visage blême, réalisant soudain l’atrocité que ces monstres s’apprêtaient
à commettre, hésitant encore à croire que des hommes pouvaient en venir à de
telles extrémités. Ses yeux s’agrandissaient d’effroi à mesure que l’évidence s’imposait
à sa conscience, ou à ce qu’il en restait. Puis, à la suite de ce jugement
sommaire… On la transporta au Pré-du-Comte, sur un bûcher… et on l’y transporta,
messeigneurs, avec son lit, car elle ne pouvait se lever ! On la brûla
aussitôt, tandis qu’elle était encore couchée, au milieu de ses draps, sur les
quatre pieds de son vieux lit de bois. Après quoi, Aguilah s’en fut au
réfectoire des dominicains, où tous firent bonne chère, en rendant grâces à
Dieu.
    — C’est incroyable, murmura Aimery.
    Héloïse pleurait.
    Quelque chose en elle acheva de se briser.
    — Et moi, j’étais là, lorsque l’évêque
Aguilah, dans cette pièce plongée dans la pénombre, accomplissait sa traîtrise.
J’étais là. J’avais quatre ans à peine… Une femme veillait sur moi, dans un
coin de cette chambre. J’étais debout, elle avait mis ses mains sur mes épaules.
Je me souviens de ce bois sombre, du parfum de l’encens, de la froideur de ces
draps blancs ! Nous ne pouvions rien dire, rien faire, seulement assister
à ce spectacle !
    Ce fut avec une voix d’enfant qu’elle jeta
enfin :
    — Cette femme… c’était ma grand-mère, vous
comprenez ? C’était ma grand-mère !
    Escartille et Aimery commençaient à peine à
soupçonner tout ce qui avait pu se passer dans cette famille, déchirée par la
guerre sur trois générations. Une aïeule cathare, des parents restés
catholiques, sans doute par terreur, ou par lassitude, autant que par
conviction. Et des enfants… Seigneur, des enfants perdus !
    — C’est incroyable, répéta Aimery, touché
par la beauté et la souffrance de la jeune fille.
    Le front d’Escartille s’était assombri.
    — Aguilah, siffla-t-il entre ses dents, comme
si ce nom maudit n’avait pas cessé de le quitter.
    Héloïse le regarda.
    Lentement, elle se leva. Elle resta ainsi un
instant, droite, raide, les poings serrés, les flammes continuant de danser
derrière elle.
    — Messeigneurs, vous m’avez sauvée, je
vous dois la vie. Que pourrais-je faire pour vous en remercier ? Faudra-t-il
que je vous demande une autre faveur ? Il m’est impossible, à présent, de
revenir en arrière. Je crois que les cathares n’ont plus qu’un seul espoir. Et
sans doute était-ce aussi le seul espoir de ma sœur.
    — Un espoir ? Lequel ? demanda
Aimery.
    Les yeux d’Héloïse brillaient dans la nuit.
    Elle marqua un temps, puis dit avec douceur, dans
un souffle :
    — Il n’est plus qu’un refuge, un seul. Un
château vers lequel convergent nos dernières espérances. C’est vers lui que
tous les parfaits et les croyants tournent à présent leurs regards ; c’est
lui que l’on chante dans les prières de ces réunions secrètes, où les âmes
vibrantes s’échangent les feux les plus ardents ; c’est lui encore, que la
population voit comme le symbole de notre foi, la foi de notre Occitanie. C’est
lui, enfin, que l’on sait imprenable.
    Elle se tourna vers eux. Pour la première fois,
un léger sourire détendit son visage :
    — Je vous parle de Montségur.
    Elle inspira encore une fois.
    — Mais avant… Avant, il nous faut la
retrouver.
    Héloïse répéta :
    — Il faut retrouver Aude.
    Le procès d’Aude de Lavelanet eut lieu le 27
avril 1242.
    Toulouse, au cœur de la tempête ! Voilée
de nouveau, Héloïse se retrouvait solitaire comme Aude l’avait été, l’âme
brisée par ce regard que la parfaite lui avait lancé, avant qu’elles ne se
séparent dans de si terribles circonstances. Escartille avait hésité. Sa
première intention, en quittant avec Aimery son refuge pyrénéen, avait été de
gagner Toulouse pour y retrouver ses anciens appuis auprès des proches de la
famille raimondine : il lui fallait contacter quelques personnes sûres, susceptibles
de

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