L'Église de Satan
L’animal tournait la tête à droite et à gauche, fermant
et ouvrant son œil à intervalles réguliers, les serres reposant sur le gant de
cuir que le jeune homme portait à la main droite. Aimery fit un mouvement du
bras, le rapace poussa un cri strident et alla se percher sur une branche, non
loin d’eux. Aimery se tourna encore vers Héloïse ; il avait soudain envie
de la prendre dans ses bras pour la réconforter, mais n’osait faire le moindre
geste. Il regarda son père. Un tel discours, de la part d’une femme encore si
jeune, le surprenait lui aussi. Mais la guerre avait tôt fait de permettre aux
âmes innocentes de ne pas le rester trop longtemps. Le sang qui coulait dans
les veines d’Héloïse était sans doute plus proche de celui de sa sœur que de
celui des parents qui l’avaient reniée, ou qui s’apprêtaient à le faire ce soir
même, dès qu’ils sauraient ce qui s’était passé.
Héloïse les surprit encore. Elle redressa la
tête pour s’exclamer :
— Elle ne pourra se défendre ! Les
hérétiques n’ont personne pour avocat ! Quiconque porte leur voix dans un
tribunal est déjà considéré comme suspect ! Le seul fait de s’en mêler
devient un chef d’accusation… Depuis que les inquisiteurs sont arrivés en ville,
ils n’ont eu de cesse d’aligner des noms sur leurs registres. Ils dressent des
listes, des listes, encore des listes ! Ils ont proclamé un temps de grâce
d’une semaine, en invitant les croyants à se déclarer. Les plus couards y sont
allés, bien sûr, pour s’accuser eux-mêmes ! Ils confessent des vétilles, ou
inventent des fautes imaginaires, parfois pour en cacher de bien plus graves… Mais
les juges le savent et s’en moquent bien. Ils en profitent pour leur demander, en
guise de repentance, de dénoncer d’autres suspects. Alors, les accusés essaient
de biaiser… Ils citent leurs ennemis personnels, pour mieux s’en débarrasser. Ou
bien, ils attaquent des innocents, des gens qu’ils savent irréprochables !
Les inquisiteurs sont plus rusés qu’ils ne le croient… Ils recoupent chacun des
témoignages, et ils en ont, ça oui, vous n’imaginez pas tout ce qu’ils ont
consigné ! Et il suffit de deux citations pour être convoqué à leur
tribunal ! Il suffit que vous soyez cité deux fois, au hasard de leurs
interrogatoires, quelle qu’en soit la raison, pour braver l’Église tout entière !
Deux citations, c’est tout ! dit-elle, levant les doigts devant ses
yeux.
Aimery n’en revenait pas. Les yeux d’Héloïse s’emplirent
de tristesse. Son calme nouveau n’était qu’une façade ; elle avait besoin
de rassembler ses esprits.
— Je me souviens de… cette femme, il y a
des années de cela… C’était le jour de la Saint-Dominique, on avait donné
partout des messes solennelles. Après l’une d’elles, l’évêque Aguilah apprit, alors
qu’il se lavait les mains, qu’une grande dame venait de recevoir le consolament dans une maison voisine. L’évêque prit cela pour une
provocation, qui le mit dans une fureur épouvantable. Il se rendit à l’adresse
qu’on lui donnait… Il était avec le prieur du couvent des dominicains, et d’autres
moines. La pauvre vieille était mourante, à demi aveugle. Quand on lui annonça
la venue de Monseigneur, elle crut… elle crut qu’il s’agissait, non pas de l’évêque
catholique, mais de l’évêque cathare. Imaginez-vous pareille méprise ? Et
croirez-vous ce que fit Aguilah, sitôt qu’il le comprit ? Il… mon Dieu, il
profita du quiproquo sans l’ombre d’une hésitation. Il joua d’allusions, de
propos à double sens, pour encourager la vieille à se dévoiler…
Héloïse eut un rire amer, au milieu de ses
larmes. Ses épaules tressautaient de chagrin.
— Quelle perfidie ! Elle était là, sur
son lit de mort, faible et égarée, plissant les yeux pour essayer de discerner,
dans la pénombre, les traits de l’homme qui lui parlait… Elle lui avait même
donné la main, elle le caressait de ses doigts, il la touchait ! Son front
ridé se tordait, elle souffrait, haletait à chacune de ses paroles… Aguilah
obtint tout de la confession qu’il était venu chercher. Il la poussa à affirmer
que jamais elle ne parjurerait sa foi en l’Église cathare… Et quand elle fut
tout entière à sa merci… Il tomba le masque !
Les sanglots d’Héloïse redoublaient.
— Oui, il la déclara hérétique aussitôt, heureux
de sa
Weitere Kostenlose Bücher