Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'Église de Satan

L'Église de Satan

Titel: L'Église de Satan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnaud Delalande
Vom Netzwerk:
gauche.
    C’était une paysanne joufflue, qui roulait des
yeux exorbités. Les mains jointes sur sa robe, elle triturait nerveusement
quelques fils de tissu grossier.
    — Comment, messire, vous ne le savez pas ?
L’homme que vous voyez ici, à la barbe noire, c’est Étienne de Saint-Thibéry, un
bon père franciscain, répondit-elle. Et l’autre, avec la barbe blanche, s’appelle
Guillaume Arnaud. Ce sont eux les seuls vrais juges de la cause qui se dispute
aujourd’hui. Les autres, je ne les connais pas. On attend l’évêque Aguilah cet
après-midi, avec le sénéchal royal de Carcassonne ; et je crois, mon Dieu !
que les juges veulent faire diligence dans le traitement de cette affaire.
    Le tribunal était à présent au complet.
    Les deux hommes, barbe noire et barbe blanche,
prirent place côte à côte, sur des fauteuils d’égale dimension, exactement au
milieu de l’estrade, devant une longue table.
    Ils portaient chacun l’austère vêture de leur
ordre ; Étienne de Saint-Thibéry, le premier, avec son regard de loup, son
nez aquilin, était passé maître dans l’art de la controverse théologique. Grand
et sec, il venait de ramener une main sous son menton et, les yeux plissés, paraissait
détailler le visage de chacun des membres de la foule. Son aube sombre lui
donnait l’air d’un oiseau de mauvais augure. Il n’avait pas fallu longtemps
pour que ce franciscain intransigeant impose sa redoutable réputation. Bras
armé de Dieu pour les uns, fanatique pour les autres, il mettait un zèle de
tous les instants à l’exécution de sa sacrée tâche, dans le droit fil des
recommandations de son mentor, Aguilah lui-même. L’autre, Guillaume Arnaud, représentait
l’ordre dominicain. Le front bombé sous sa tonsure, il s’empêtrait dans sa bure
à chacun de ses mouvements ; ses sourcils fournis se rejoignaient l’un l’autre
par-dessus son nez ; son menton venait s’écraser en plis adipeux
par-dessus son crucifix. Il agita un instant ses amples manches afin de les
retrousser, puis se pencha pour échanger quelques mots avec le greffier, à qui
l’on avait réservé une petite table au pied de l’estrade, et qui venait d’arriver.
Il se tourna ensuite vers Étienne et lui parla à l’oreille. Le franciscain
approuva en silence, sans quitter des yeux les membres de l’assemblée, qu’il
continuait d’ausculter un à un. De chaque côté des inquisiteurs, les assesseurs
prirent place à leur tour. On trouvait là Garsias d’Aure, Bernard de Roquefort,
Raymond Carbonier, Raymond Costiran, dit Raymond l’Écrivain, car il était, comme
Escartille, un ancien troubadour, devenu quant à lui archidiacre catholique de
Lézat. Tandis que le greffier affûtait sa plume, deux abbés s’approchèrent d’eux.
Ils portaient de lourds registres, qu’ils disposèrent devant Guillaume Arnaud. Il
y en avait six ; Guillaume ouvrit l’un d’eux et, s’efforçant de se
concentrer, fronça ses sourcils broussailleux pour décrypter ce qu’il avait
sous les yeux. Des sommes rédigées page après page, d’une écriture minuscule. De
volumineux recueils à la couverture marquée de sceaux incompréhensibles, et qui
rassemblait tout ce que l’humanité pouvait avoir de plus perfide.
    Enfin, on fit venir l’accusée.
    Héloïse sentit son cœur bondir.
    Sa sœur était toute de beauté et de majesté
tranquille ; elle avançait au milieu des archers dans sa robe noire, une
lourde croix pendant à son cou ; mais les cernes profonds sous ses yeux, son
corps famélique, tout indiquait ces privations qu’elle avait dû supporter.
    Et le procès commença.
    Escartille, à cet instant, éprouva lui aussi
une émotion pathétique.
    C’était soudain l’histoire de trente années de
guerre qui refaisait surface. Aude n’était pas seulement Aude.
    En ce jour, elle était l’Occitanie à genoux.
    Étienne de Saint-Thibéry attendit patiemment
que le silence se fasse dans la salle bondée ; des «  chuuut ! » parcoururent les rangs, et finalement, on se tut complètement. Chacun retenait
sa respiration. D’une voix grave et profonde, Étienne de Saint-Thibéry lut au
nom du pape la mise en accusation. Courbé en avant, Guillaume Arnaud renchérit
en précisant chacun des chefs imputés à la prévenue. Mais il était si près de
son rouleau et mettait tant de concentration dans sa lecture qu’il en oubliait
de donner de la voix.
    — Plus fort ! osa un manant,

Weitere Kostenlose Bücher