L'Église de Satan
guérissent les maux par la seule vertu de leurs attentions,
là où votre grande Église condamnerait ces femmes au supplice du cloître, enfermant
la fleur de leur jeunesse entre quatre murs stériles, pour le reste de leurs
jours ! Là où vos seigneurs les font ramper devant eux ! Ce monde n’est
que subornation, il est l’ordre du Mal, qui asservit le roi à l’empereur, le
comte au roi, le chevalier au comte, et le peuple à tout le reste ; tout
cela n’est pas la volonté de Dieu, mais de Satan, que je combats de toutes mes
forces. Ah ! Qu’un baron commande, et les chevaliers marchent sur Termes, Coustaussa
et Roquefixade ! Qu’un évêque leur donne quelques miettes, ils s’amusent, ils
sont contents ! Et tandis que les hommes d’armes meurent dans le sang que
vous dites réclamé par un Dieu avide et cruel, jusqu’à l’autre bout du monde, vous,
représentants des plus hautes fonctions qu’il soit donné à l’homme d’incarner
sur terre, vous restez à l’abri de vos églises et de vos abbayes opulentes, protégés
par le pape et le roi ! Vous, inquisiteurs, vous chassez, jugez, tuez, condamnez
à mort ! Vous adorez le sang comme la filiation de la vertu et de l’odieux
droit de commander, de père en fils, vous adorez le Malin, en vérité, car il n’est
qu’une seule chose qui nous sauve, et c’est le premier des commandements :
aime ton prochain comme toi-même, tel est le propos du Dieu bon, tel est l’ordre
de la sainte Église – et ce n’est pas le vôtre !
— Vous avouez avoir professé que les
hérétiques sont de bons chrétiens, que par eux, et par vous, le monde peut être
sauvé !
— Je ne l’avoue pas, je le revendique, je
le crie bien haut, car cette comédie de justice que vous nous jouez n’est pas
justice de Dieu, mais justice humaine, qui n’existe pas ; ma mort ne sera
que l’aveu de votre impuissance, car vous prétendez lutter contre l’âme, qui
est le fondement divin de notre existence. Vous n’êtes que masque et mensonge, vous
lisez en latin les Évangiles par crainte qu’ils ne soient compris, et que leur
éclatante vérité vous éclabousse de tout l’opprobre que vous méritez !
— Savez-vous que vous êtes morte, à l’heure
où vous parlez ? hurla Guillaume Arnaud, dans un nuage de postillons. Qu’avant
l’aube, vous serez réduite en cendres ? Que vos blasphèmes vous condamnent
à une éternité de douleurs ?
— C’est vous qui êtes morts, en vérité, morts
pour Dieu dont vous bafouez à chaque instant la Parole ! Et je serais
encore en vie, davantage que vous-mêmes, si vous viviez cinq cents ans après
mon bûcher !
— Vous injuriez ouvertement le Très Saint
Père de l’Église, vous niez les croisades destinées à délivrer le Tombeau du
Christ ?
— Il n’existe pas de guerre juste ! Je
nie la guerre, dans son essence même ! Il n’est pas de cause assez bonne
pour qu’elle soit asservie au malheur. Cet axiome traversera les siècles, car
il n’est pas de ce temps ; il n’est pas du temps de l’homme, illusoire et
transitoire ; mais il est d’éternité, comme l’amour lui-même. Que les
vertiges de l’Histoire nous le fassent oublier, que la difficulté du monde et
la pauvreté de nos conditions tentent de le chasser de nos esprits, il continuera
pourtant de donner courage, car l’homme bon sait quelle est la vérité ! Elle
n’a qu’un nom, qui est l’amour, par-delà tous les revers ! Et votre
pouvoir, ce si glorieux pouvoir dont vous vous réclamez, s’effondrera devant
celui de Dieu, qui vous dépasse en tout ! Quelle gloire de vous voir ainsi
ligués contre moi, contre toute la terre d’Occitanie, contre les familles que
vous poussez à la lutte fratricide ! Oui, quelle gloire ! Mais ne me
dites pas qu’il s’agit là de la gloire de Dieu.
Héloïse, les mains serrées, sentait des larmes
monter à ses yeux. Aude vaincue triomphait encore ! Elle se libérait enfin
de ces prières et de ces mots trop longtemps contenus, trop longtemps cachés
dans les forêts de sa fuite. Une fois de plus, la population de Toulouse commençait
de rugir, admirative devant l’ardeur de la parfaite, exaspérée des vexations
intempestives qu’on lui faisait subir. Escartille, débordé par la fureur de
cette femme et le respect qu’elle faisait naître en lui, était fébrile ; il
lui semblait qu’il parlait par sa bouche, qu’elle avait su voler ses propres
mots pour plaider
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