L'Église de Satan
votre
vêture, qu’il vous a souillée de ses attentions, alors que reposait non loin de
vous les Écritures dont vous deviez suivre l’enseignement à la lettre ? Le
nieriez-vous ?
Aude regarda Jean de Montréal, de nouveau
tremblante ; ses lèvres furent agitées d’un léger frémissement ; elle
se tourna vers la foule, désemparée, ne sachant plus que dire.
— Vous… vous ne pouvez pas… C’est
ridicule…
— Le nieriez-vous ? recommença
Étienne d’une voix retentissante. Vous qui professez la vérité par-dessus tout,
si fière de votre propre perfection, drapée dans votre majesté illusoire, dites-le-nous !
Dites-nous quelle est cette vérité !
Sur les gradins, Héloïse se leva, prête à
hurler, à se jeter en avant ; Aimery la retint, lui plaqua une main sur la
bouche, la força à se rasseoir. Un nouveau mouvement d’agitation balaya la
foule, des têtes se tournèrent dans leur direction. Étienne leva un œil, Aude
vit au loin cette femme voilée, qu’elle ne pouvait reconnaître.
— Quelle est la vérité ?
Elle baissa le regard.
— Une fois… Une fois, nous nous sommes
aimés. J’étais… si seule.
Elle était effondrée.
Je te tiens, pensa
Étienne, cruel, voyant sa proie se débattre devant une attaque qu’elle n’avait
pas prévue.
— Et vous, Jean de Montréal ! Avant
d’être ductor pour le compte des hérétiques, vous, simple croyant, n’étiez-vous
pas marié à une femme du nom d’Alazaïs de Bugarach ? N’avez-vous pas été
uni à cette femme d’un sacrement catholique ? N’êtes-vous pas encore marié
à cette épouse ? Vous l’avez abandonnée, Jean de Montréal. Vous avez
abandonné votre femme pour ces sombres activités dans lesquelles les parfaits
et parfaites vous ont entraîné. N’est-ce pas cela aussi, la vérité ?
Jean ne dit rien. Il se contenta de baisser
encore les yeux en hochant la tête.
Son silence parlait de lui-même.
— Et vous, Aude, à l’heure où vous vous
donniez à cet homme, ne saviez-vous pas qu’il était marié ? Ne saviez-vous
pas qu’en le laissant vous toucher, vous rompiez vos vœux autant que les siens,
bafouant deux religions à la fois ?
Aude non plus ne répondait pas.
— Le saviez-vous ? Répondez.
— Je…Je…
— Répondez.
— Je le savais. Mais… vous déformez tout,
vous…
— Ah ! Elle le savait ! s’exclama
Étienne de Saint-Thibéry, les bras écartés, en se tournant vers la foule, à
présent interdite.
Il reprit :
— Elle le savait, l’entendez-vous ? Que
penser alors de vos discours, belle parfaite, que penser de vos grands
principes d’éternité et de vos belles prédications, lorsque vous les bafouez
vous-même si facilement, dans le secret de votre conscience, en jouissant comme
une catin sur la Bible ? Est-ce à des gens comme vous que les cathares
confient leur religion ? À des prostituées adultérines ?
Le masque de fermeté de la parfaite venait de
se décomposer. Cette fois, c’en était plus qu’elle ne pouvait le supporter. Le
sang avait reflué de son visage ; il n’était plus question de controverse
théologique ni de vérité divine, en cet instant. Héloïse retrouva sa sœur telle
qu’en elle-même, femme, humaine.
Victime.
Le silence était retombé à l’intérieur de la
salle. Il s’étirait, long, terrible.
Un voile de larmes lui couvrit les yeux.
— Je l’aimais.
— Ah ! s’exclama Étienne. Vous l’aimiez !
— Est-ce un crime ?
— Au regard de votre foi comme de la
nôtre, au regard des propres sources de votre engagement, oui, c’en est un, et
des plus graves ! Que penser d’une parfaite qui, ployée en avant sous les
assauts de la honte, les cuisses écartées, glorifie soudain comme une sorcière
ce corps qu’elle dit tant abhorrer, après son prêche du soir ? Pour
vous-mêmes, cathares, le péché de chair est le plus grave d’entre tous ; il
entraîne la perte immédiate du bénéfice spirituel du consolament, celui
que vous avez reçu, et celui que vous n’avez cessé de dispenser lors de vos
réunions secrètes. Ce ne sont pas les lois de l’Église catholique qui vous
condamnent, Aude. Ce sont aussi celles de votre secte. Ce n’est pas seulement
une hérétique à la foi catholique que nous jugeons ici, c’est une hérétique à
sa propre foi !
— Je l’aimais…
Aude regarda Jean, qui avait mis les mains sur
son visage.
— Pourquoi, Jean ?
Weitere Kostenlose Bücher