L'Église de Satan
sa cause, qu’en bref jamais il n’eût pu montrer davantage de
beauté dans la reconnaissance de sa foi.
La situation ne tournait pas à l’avantage
des inquisiteurs.
Étienne de Saint-Thibéry envoya à droite et à
gauche de rapides coups d’œil.
Il était temps de réagir.
Le premier inquisiteur se leva, contourna
Guillaume Arnaud, les adjoints et les assesseurs. Il marcha quelques secondes, les
mains dans le dos. Puis il s’arrêta devant Aude et la regarda droit dans les
yeux.
— N’est-il pas vrai, Aude de Lavelanet, que
votre secte prétend que le monde où nous sommes, creatio ex essentiel
Diaboli, est l’œuvre du Démon ? Nieriez-vous que ce principe vous
conduit à réfuter le libre arbitre de l’homme sur cette terre ? Pensez-vous
que l’homme est libre, Aude de Lavelanet ?
— Nous disons que le monde où nous sommes
est corruptible et que pour cela, il ne peut avoir été créé par un Dieu
incorruptible. Nous disons qu’à choses contraires, il ne peut exister que des
principes contraires.
Étienne sourit.
— Oh, vous citez Aristote, à présent. La
pensée païenne a toujours été chez vous un bon moyen d’aveugler les esprits… Aristote !
Voilà ce qu’enseignent les Universités d’Occitanie ! Mais vous ne répondez
pas à ma question.
— Si Dieu est liberté, comment peut-il, de
sa propre volonté, produire l’oppression où nous nous trouvons à présent, et le
malheur où vous m’acculez ? Oui, nous pensons que cette terre est un enfer,
parce qu’elle est toujours livrée au pouvoir du plus riche, du plus puissant !
Étienne alla ouvrir une bible. Lentement, il
la feuilleta, chercha une page. Il posa un doigt sur ses lèvres, méditatif. Puis
il s’éclaircit la gorge.
— Tout ce qui avait été fait en
Jésus-Christ était la Vie, et la Vie était la lumière des hommes. Diriez-vous,
Aude de Lavelanet, que ce verset, choisi au hasard parmi des milliers d’autres,
répond à votre vision infernale de la foi, et de notre monde ? Diriez-vous
qu’il représente, avec exactitude, cette tendance douloureuse qui pousse l’homme
bon vers son propre Néant ? Ce que j’y lis, moi, est un message de Lumière.
Je ne vois dans vos interprétations qu’un furieux désir de mort… Aude de
Lavelanet, pourquoi désirez-vous la mort ?
Il se tourna vers la parfaite. La foule
suivait-elle encore la joute qui s’était engagée ? La comprenait-elle ?
Ici et là, les fronts et les sourcils se plissaient. Étienne n’en avait cure. L’ardeur
était un peu retombée. Il voulait amener Aude là où il la savait la plus
vulnérable. Là-haut, sur les gradins, Escartille devina que l’inquisiteur avait
un plan.
Qu’il manigançait.
N’y va pas, Aude. Ne va pas sur le terrain
de cet homme.
Aude, elle aussi, fronça les sourcils.
— Cette phrase est inexacte. Il faut lire : Seul ce qui avait été fait en Jésus-Christ était la Vie, et la Vie était la
lumière des hommes.
— Ah… Seul
ce qui avait été fait en Jésus-Christ… Autrement dit, le reste, ce monde
qui est le nôtre, est l’œuvre du Démon… Vous nous accusez de ne pas traduire la
Bible en langue vulgaire, mais la traduction que vous en faites est sujette à
des interprétations sans le moindre fondement, Aude de Lavelanet. Vous y lisez
ce que vous voulez y voir, et de vos erreurs de pensée procèdent vos erreurs de
comportement… Pourquoi désirez-vous la mort ?
Il referma la bible, dans un claquement sec.
Il la regarda encore :
— Je vais me faire l’avocat du Diable, Aude
de Lavelanet. Ce Diable que votre hérésie, sans même le savoir, en vient à
adorer comme le vrai Dieu… Je vais, quelques instants, abandonner à mon tour la
vraie foi, oublier la Vie et la Lumière… Je vais, Dieu me pardonne, renoncer à
mon sacerdoce, l’espace de quelques minutes, pour adopter votre point de vue… Ainsi,
selon vous, il existe une racine éternelle du Mal, une lutte entre Deux Principes,
dont on ne sait d’ailleurs, dans votre bouche, lequel est issu de l’autre – car
il faut bien qu’il y ait un Créateur premier, une raison primordiale, n’est-ce
pas ? Je vais donc être hérétique devant vous, le temps d’un songe…
Il réunit ses deux mains sous son menton.
— Vous me donnez le choix entre adhérer à
l’ordre du Mal, ou renoncer à la vie terrestre, charnelle et temporelle, c’est
bien cela ? Quelque chose m’échappe, dans cette savante
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