L'Église de Satan
dards
acérés. Il fallait trente carreaux pour toucher un ou deux hommes ; et l’opération
se répétait immédiatement, empêchant les soldats de l’ost, par ce tir de
barrage fourni et serré, d’aller plus avant. Certains, pourtant, se jetèrent en
hurlant à flanc de falaise, tentant de franchir les quelques dizaines de mètres
qui les séparaient encore du château. Ils couraient en hurlant par-dessus les
rochers, dans l’étroit défilé qui surplombait le vide, lancés dans le plus
périlleux des assauts.
Au plus fort de la bataille, Aimery descendit
des remparts. Escartille était dans la cour. Le jeune homme dégaina son épée
dans un hurlement. Il était tombé en essayant d’éviter des tirs ennemis ; une
entaille profonde courait sur son front, sa joue était tuméfiée.
— Alors père, que faisons-nous à présent ?
Resterons-nous ici en attendant d’être massacrés ? Vous avez renoncé à
tuer, il me faut le faire pour vous ! À moi d’être ce guerrier que vous n’avez
pas voulu être. À moi d’être ce bras criminel que notre foi s’est toujours
refusée à dresser contre ceux qui nous oppriment !
Escartille cligna des yeux. Un boulet s’abattit,
ils firent un bond de côté tandis qu’il s’écrasait à côté d’eux.
Aimery poussa un nouveau cri de rage et
remonta sur les murailles.
Au-dehors, les croisés se précipitaient, munis
d’échelles qu’ils transportaient sur le défilé, en direction des remparts de
Montségur. Deux groupes parvinrent à franchir les salves des arbalétriers en se
protégeant comme ils le pouvaient. Ils jetèrent sans hésiter les échelles
contre les murailles. Sitôt que quelques-uns s’étaient engagés avec témérité
sur leurs barreaux, la garnison de Montségur les repoussait.
— Ne les laissez pas approcher !
— Ne vous laissez pas submerger par le
nombre ! s’écria un homme, comme en écho à la voix d’Aimery.
Cet homme était Arnaud de Bensa, l’un des
défenseurs du château. Aimery l’avait pris en amitié ; l’épreuve les avait
rapprochés. Il venait de se dresser sur les remparts lorsqu’une flèche
transperça son plastron. Arnaud vacilla quelques secondes. Il n’était pas mort,
mais un soldat de plus était à terre. Nombreux étaient ceux que ces batailles
répétées, de plus en plus meurtrières, avaient fait tomber. Ils avaient été
tués par poignées, puis par dizaines. On avait consolé à temps la plupart d’entre
eux, lorsque la situation le permettait, leur imposant les Évangiles sur le
front. Aujourd’hui, il ne restait à Montségur qu’un peu plus de deux cents
personnes. Aussi les femmes furent-elles mises à contribution, pour soigner les
blessés, relever ceux qui pouvaient être encore valides, mais aussi pour
renouveler les armes et aider à actionner la catapulte de Bertrand de la
Baccalaria.
Dans l’atelier de couture que dirigeait
la parfaite Marquesia Hunaud de Lanta, on travaillait sans relâche. Héloïse
était assise sur une paillasse, au milieu des femmes qui l’entouraient. Deux
flambeaux crépitaient dans la cabane.
En elle, l’enfant n’avait cessé de grandir. Elle
le sentait, il lui donnait de temps en temps des petits coups à l’intérieur de
son ventre. Oui, elle portait la vie, elle sentait cette étincelle au plus
profond d’elle-même.
Ses mains avaient conservé leur fraîcheur et
leur finesse. Elle les voyait danser ces mains, ces petites mains, pique l’aiguille, pique et repique encore, Héloïse, sans jamais t’arrêter ! Oublie qu’Aimery,
en ce moment même, se jette au milieu d’une bataille sans issue, sur ces
remparts, dans cette cour qui n’est plus qu’un champ de ruines, oublie cet
enfant qui tressaille en toi ! Oublie que tu es là toi aussi, à Montségur,
au sommet de la montagne ! Oublie pour ne garder, jusqu’au bout, que cette
ténacité farouche qui t’offre d’accomplir ce que tu peux accomplir encore.
Pique l’aiguille, puisque,
pour seules armes, il ne te reste que tes mains.
Pique l’aiguille.
— Il faut
prendre les devants, dit Aimery.
Il se jeta sur une échelle que les croisés
avaient abandonnée, et qui vacillait encore, prête à choir, auprès des remparts.
Sans réfléchir plus avant, il s’élança. Une dizaine de flèches s’écrasèrent de
part et d’autre de lui, dans sa descente. Non loin, on évacuait du chemin de
garde Arnaud de Bensa, qui tendait une main vers le ciel. Aimery fut
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