L'Église de Satan
avec respect en murmurant les
paroles du melhorament.
Il tira de son habit noir une lourde clé d’or
qu’il gardait autour de son cou, à même la peau. Il la fit tourner trois fois
dans la serrure. Escartille entendit un cliquetis, puis Bertrand, d’un geste
ample, l’invita à entrer.
— Escartille de Puivert, voici la
première vraie richesse de notre Église.
Il poussa la porte.
Escartille écarquilla les yeux en découvrant
le nouveau spectacle qui s’offrait à sa vue.
Il se serait attendu à trouver des monceaux d’or
et d’argent, des fontaines de perles, des cascades de pièces sonnantes et
trébuchantes, des coffres dégorgeant de pierres précieuses, de diamants, de
rubis, de saphirs, d’incomparables joyaux ; tout ce que la communauté
avait pu entasser de dons et de richesses, depuis tant d’années. Mais au lieu
de cela, il ne vit que quelques muids de blé, quelques graines répandues ici et
là ; un autel semblable à celui de la salle où l’on assurait l’initiation
des nouveaux parfaits ; et des quantités de livres, manuscrits de toute
taille et de toute forme, qui composaient une bien étrange bibliothèque, recouverte
de voiles et de rideaux qui les protégeaient de l’humidité.
— Manuscrits bogomiles, gnose, enseignement
de Manès, traités de théologie, Cène secrète, Livre des Deux Principes, et
bien sûr, les saintes Écritures. Tout est là, et nous faisons acheminer d’autres
textes, qui nous parviennent de chacun des pays où notre communauté est
représentée, d’Espagne, de Bulgarie, d’Italie, même de Constantinople !…
Escartille avança. Il déambulait à présent
parmi ces montagnes de livres, avec la sensation soudaine de se trouver dans
une bibliothèque infernale. Il passait au milieu d’eux, s’arrêtait de temps à
autre, caressait un rouleau de parchemin. L’un des livres parut à Escartille
plus volumineux que les autres.
Bertrand plissa les yeux tandis qu’Escartille
se saisissait du livre.
Il souffla dessus et un titre lui apparut.
La Seconde Vie de Jésus-Christ.
Il se tourna vers Bertrand Marty. Celui-ci
resta là, sans bouger, durant quelques secondes. Puis il dit, d’une voix
profonde :
— Eh oui ! L’esprit, mon ami…
L’esprit. Vous êtes ici dans notre sanctuaire ; dans le Montségur inversé,
celui des souterrains, du village à l’envers. Vous êtes dans le temple secret
de notre savoir. Nous y avons rassemblé des œuvres insolites, odieuses à l’Église
romaine ; les textes que nous avons nous-mêmes rédigés, mais aussi ceux d’autres
religions, d’autres formes de pensée qui sont parvenues jusqu’à nous, des
œuvres philosophiques, parfois provocatrices, blasphématrices et scandaleuses. Toutes,
cependant, témoignent d’une même quête de spiritualité. Une recherche jamais
assouvie, la seule qui importe : celle de la vérité de l’âme. Ces œuvres
nous ont nourris, elles nous ont tantôt permis d’affermir notre foi et celle de
nos croyants, tantôt de la mettre en doute. Nous avons cherché à les comprendre,
à en démontrer ou à en réfuter les postulats. Ceci est notre enfer, Escartille.
Ce que vous avez sous les yeux en est un exemple parmi d’autres. La Seconde
Vie de Jésus-Christ est… un cinquième Évangile. Un Évangile anonyme, apocryphe
et honteux. Il prétend que Jésus n’est pas mort sur la croix, mais qu’il aurait
eu une autre vie, avec Marie de Magdala. Qu’il aurait eu d’elle un fils, un
héritier. Le Saint Graal, mon ami. Le sang royal. L’héritier du Christ ! Et
ce contre-Évangile prétend que l’héritier de cette dynastie du Christ serait
encore vivant, parmi nous. Voici l’un des grimoires que nous avons sauvé d’une
destruction certaine, s’il était tombé en de tout autres mains que les nôtres. Comment
et pourquoi ce livre a-t-il été conçu ? Ne s’agit-il que d’élucubrations, ou
nous cache-t-il une vérité voilée, partielle ? Cela est sans importance. Il
nous a permis, ainsi que je vous le disais, de mettre à l’épreuve ce que nous
pensions du monde et du sens de notre foi. De la réitérer en nous rappelant sa
source : celle des Apôtres, des premiers chrétiens.
Escartille fronça les sourcils, continuant de
regarder autour de lui.
Sur l’une des parois du mur se trouvait une
étagère, avec des flacons qui semblaient contenir un étrange liquide, qu’il ne
parvenait pas à identifier. Voyant son regard interrogateur,
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