L'Église de Satan
émotions qui agitèrent son cœur à ce moment-là.
Il était heureux qu’une fois encore, bien que le ciel semblât tomber sur eux, l’amour
puisse encore trouver son chemin. Il était heureux pour Aimery et pour la jeune
fille – et en même temps, si triste, si mortellement triste. Ils s’aimaient, oui,
ces amants de Montségur, mais dans de telles circonstances que l’amour lui-même
risquait d’être vain et sans issue. Il s’éloigna de quelques mètres, s’assit
sur un rocher et se plongea la tête dans les mains, en proie à une morsure que
le froid des cimes ne fit qu’accuser.
Le sacrement de mariage tel que l’entendait
la tradition romaine n’avait jamais satisfait les cathares ; sans doute ne
voyaient-ils dans ces serments d’éternité que des apparences destinées à
soumettre la femme à l’homme, et des moyens de masquer des alliances souvent
plus vénales et calculatrices que désintéressées. Le mariage sacramentel avait
pour première fonction de donner un alibi à la copulation et à la duperie
adultérine que, dans le même temps, on se plaisait à entretenir avec amusement.
Forts de toutes les utopies, ils croyaient à l’égalité amoureuse comme
fondement de l’équilibre du couple. Ils prônaient le mariage sans contrainte, un
mariage dont il était aisé de se délier. Ils avaient admis l’inadmissible, le
caractère fluctuant de l’amour. Parfaits et parfaites ne répugnaient pas à la
compagnie de couples concubins, bien au contraire. Ils se rendaient chez eux
avec la même bienveillance que chez les autres ; du moment que l’amour
était là, le reste devenait subalterne.
Il va sans dire que lorsque Aimery et Héloïse
demandèrent à s’unir, le lendemain même du soir où Escartille avait failli les
surprendre, cette requête parut incongrue à de nombreux habitants de Montségur,
à l’heure où chaque lendemain devenait de plus en plus incertain. C’était
pourtant cette même raison qui poussa les amants à se manifester. Si la mort
advenait, ils s’en iraient avec l’espoir d’un amour qui leur survive ; s’ils
en réchappaient, tout serait possible. Ils s’aimaient et devaient le dire. Escartille
ne désapprouva pas, se rappelant combien lui-même eût aimé épouser Louve avant
qu’elle ne disparaisse. C’était là, sans doute, l’un de ses plus grands regrets ;
et sa conversion au catharisme n’en était-elle pas le premier des fruits ?
N’était-il pas entré en religion comme un signe posthume, pour dire à Louve que
jamais il ne l’oublierait ? Même si la situation prenait le tour tragique
que l’on pouvait craindre, il voulait qu’Aimery et Héloïse puissent accomplir
ce que le sort lui avait refusé.
Aimery guetta cette approbation avec
inquiétude ; depuis qu’il s’était rendu à Avignonet contre l’avis de son
père, il ne se sentait plus le même. Escartille aussi avait perçu ce changement
et tous deux craignaient qu’une distance inhabituelle ne vînt se glisser entre
eux. Il donna à cette complicité nouvelle la valeur d’une réconciliation
silencieuse. Escartille plaida la cause devant Bertrand Marty qui accueillit
chaleureusement cette requête, comme un signe que l’espoir vivait encore à l’ombre
du château.
— Eh bien qu’il en soit ainsi, si cela
plaît aussi à Dieu. Vous, Escartille, avez le pouvoir de donner votre
bénédiction à cette union. Amenez-les ici. Je serai à vos côtés.
Les amants de Montségur se présentèrent donc
devant eux. Héloïse ne portait qu’une robe austère et simple ; on avait
tressé à son intention une couronne de fleurs, dont sa tête était ceinte. Un
voile de fortune, attaché à sa taille, traînait derrière elle. Elle tenait en
main un bouquet de fleurs des montagnes, dont la moitié était déjà fanée. Aimery
avait revêtu sa cotte de mailles et une cape rouge à capuchon. C’était la fin
du jour. Deux flambeaux éclairaient le couple, ainsi qu’Escartille et Bertrand
Marty. La cérémonie fut brève, il n’y eut presque pas de témoins. Parmi ceux
qui se trouvaient là, le jeune Esquieu de Mirepoix apporta à la mariée un autre
bouquet, avec un sourire angélique qui porta Héloïse au bord des larmes. Puis
elle unit sa main à celle d’Aimery.
Ils la levèrent vers le ciel.
— Voulez-vous, dit Escartille, être unis
dans l’amour ?
— Oui, répondit Héloïse.
— Oui, répondit Aimery.
— Vous promettez-vous fidélité l’un à
Weitere Kostenlose Bücher