L'Église de Satan
Voici la source de cette terreur
qui aurait animé le pouvoir de ces temps obscurs ! Le Christ catholique
était bel et bien mort ! Dieu était mort sur terre ! N’ont-ils
pas à tout prix tenté de le sauver ?
Il est inconcevable que les cathares aient pu
adorer ces reliques : jamais ils n’ont rendu grâces à quelque relique que
ce soit, ni appuyé leur théologie sur une quelconque assise matérielle. Mais
oui, comme disait le manuscrit, LA PREUVE EST ICI, ou du moins, la foi
qu’ils mettaient dans cette preuve, dans ce que ces ossements représentaient à
leurs yeux : et cette foi se suffisait à elle-même pour discréditer le
pouvoir pontifical à tout jamais ! Il suffisait de le croire, de
partager ce doute crucial, pour que la partie hérétique soit gagnée ! Pourquoi,
alors, les cathares n’auraient-ils pas crié haut et fort qu’ils possédaient
entre leurs mains ce qu’ils pouvaient considérer comme une arme absolue ? Peut-être
parce qu’ils avaient peur, eux-mêmes, d’avoir raison. Peut-être parce qu’ils
redoutaient que cette preuve fût bien réelle, et que son pouvoir les dépasse
tous, catholiques et hérétiques mêlés ! Qu’il les emporte dans la
tourmente de son incertitude : celle de voir qu’il n’existe, au-delà de la
mort, que le néant, l’infini néant ! Était-ce cela, le Graal de Montségur ?
Non pas le sang du Christ, ni le calice où Joseph d’Arimathie recueillit ce
sang, mais son corps – la réalité matérielle des restes de son corps ?
Car au fond, l’existence des reliques du Christ ne pouvait également signifier
que l’erreur de la religion cathare elle-même : les hérétiques n’avaient-ils
pas prétendu que le Christ s’était adombré, qu’il n’était qu’un pur
esprit, aux apparences d’homme ? Mais non ! Ils avaient, eux aussi, la
preuve qu’il avait bel et bien été un être de chair et de sang, comme tous les
autres, promis comme eux à un tombeau sans lendemain ! Le Christ était
mort ! L’homme, jamais, n’avait ressuscité et ne ressusciterait jamais !
Quelle horreur, quelle insupportable ruine pour l’espérance humaine !
À moins qu’il n’y ait une autre interprétation,
moins folle, celle-ci. Et sans doute plus exacte, ou en tout cas plus conforme
à notre raison…
Nous sommes peut-être en face du message le
plus ingénieux qu’un artiste ait pu inventer. Un troubadour devenu cathare, comme
l’était Escartille. Une fable, une métaphore en effet, une œuvre géniale :
un poème en cachant un autre. Non pour accréditer des faits sujets à caution et
à tant de perplexité, mêlant le rêve à la réalité de l’Histoire, des faits que
nous aurions bien du mal à admettre sans y trouver matière à une vaste plaisanterie ;
mais pour signifier, de la façon la plus ardente qui soit, la portée des
horreurs que notre inlassable chroniqueur avait traversées au cours de sa vie. Un
poème caché , rendu à la seule vérité de son temps, tout imprégnée de sens
et de mysticisme, ce temps où l’on ne pouvait faire un pas sans voir autour de
soi tantôt l’œuvre de Dieu, et tantôt celle du Diable ; une œuvre de
fiction jaillie de sa seule imagination, une sublime parabole par laquelle il
aurait pu traduire la complexité et l’effroi de ces spectacles de souffrance
continuels qu’il avait sous les yeux.
Alors, le troubadour aurait lui-même imaginé
sa chanson de geste, son contre-Évangile, oscillant entre la damnation et la
recherche d’une hypothétique rédemption. Il aurait brodé le fil de son récit en
y mêlant ce qu’il avait sous les yeux avec les personnages nés de son
imagination, créant à mesure des années son vaste stratagème, jusqu’à livrer ce
message ultime dans une grotte, une caverne inconnue, semant le doute pour
toujours parmi ces religions dont il ne pouvait admettre l’intransigeance, ennemie
de l’amour.
Un rêve, en somme, autant qu’un cauchemar.
Pétri des contradictions et des mystères de
son temps.
Nous confiant, aujourd’hui seulement, ses
dernières clés.
Les livres ont une histoire. Celle-ci est
peut-être la première entre toutes.
Une histoire, c’est comme une fleur ;
Elle naît, elle vit et elle meurt.
La voici en train de mourir.
Pourtant, s’il existe la moindre chance pour
que ces reliques nous mettent vraiment sur la voie… S’il y avait là ne
serait-ce qu’une parcelle de vérité… Comment en avoir la certitude,
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