L'Église de Satan
Le
premier mort, pour moi, de cette guerre ! Je me souviens l’avoir délesté
de sa fronde. Elle m’a servi dans la boue de Muret, pour sauver un chevalier
espagnol d’une mort certaine. Mais cela n’a pas suffi. L’Espagnol est tombé
sous d’autres coups, quelques instants plus tard. Et avec lui, d’autres
personnes… qui incarnaient, sans même que je m’en rende compte alors, le sens
profond de ma vie.
Escartille inspira.
— Je n’ai pas toujours été cet homme que
tu as rencontré, dans sa robe noire, Guillaume. J’ai été troubadour, confident
d’un Trencavel ou d’un Raymond VI, page, valet, héraut et combattant – un
piètre combattant, dois-je dire. Je n’avais pas les armes dans le sang. Seigneur,
j’ai été tout cela… et je ne sais plus qui je suis aujourd’hui.
Il se tut.
Cette fois, Guillaume le regarda.
— Je vois ce que tu veux dire, ami. Nous
voyons des gens naître et mourir, sans jamais savoir si leur existence aura
servi à quelque chose. C’est beau et c’est triste. Pourtant, moi, Guillaume Mir,
je ne suis pas triste aujourd’hui. Mais je sais que je vais mourir, je sais, surtout, quand je vais mourir, et cela change tout.
— Il est encore possible de te repentir
devant l’Inquisition.
— Allons. Tu sais bien qu’il n’y en aura
pas un pour renoncer.
Il se tut à son tour, écoutant le vent mugir à
ses oreilles. Escartille avait froid. Il se frotta les épaules, les mains
crispées contre son manteau.
En bas, des croisés chantaient. Ils coupaient
du bois.
Escartille comprit.
Ils préparaient leur bûcher. Leur feu de joie.
Déjà !
Désormais, les gens de Montségur auraient sous
les yeux, à chaque instant, ce bûcher que l’on préparait pour eux ! Ils
pourraient le contempler et y chercher les reflets de la mort. Jour après jour,
les palissades seraient plus hautes, les herbes plus nombreuses, les bottes de
paille plus compactes.
Escartille frissonna. Il se tourna vers
Guillaume, qui n’avait encore rien vu.
Guillaume reprit :
— Je suis arrivé à Montségur il y a un
mois à peine, en bravant tous les dangers. Je savais dans quelle situation je
risquais de me retrouver. Je n’ai cessé de vivre dans l’ombre. J’ai voulu, une
fois, être au grand jour. J’ai voulu crier avec les autres ce en quoi je
croyais. Nous aurions pu vaincre ; les circonstances ont été autres. À
présent, il ne nous reste que notre foi, qui nous brûle déjà le cœur…
Guillaume Mir se leva péniblement. Puis il se
tourna avec Escartille sur les remparts.
— Je te demanderai à toi, Escartille de
Puivert, de me consoler.
Il s’aperçut, à son tour, de ce que les
croisés étaient en train d’accomplir.
Cela ne lui arracha qu’une moue amère.
Le 3 mars, Escartille, Aimery et Héloïse
se rendirent au chevet d’Arnaud de Bensa, cet homme d’armes de Montségur, originaire
d’Avignonet, avec qui Aimery avait mené au combat une partie de la garnison. Arnaud
ne s’était pas remis de la blessure qu’avait causée cette flèche venue
traverser son plastron. Il était allongé dans l’une des cabanes, à l’agonie. Il
crachait du sang, ses draps en étaient couverts. Il avait du mal à parler. On
avait tenté de cautériser sa plaie par le feu ; cela n’avait fait qu’accuser
ses souffrances. Sa respiration retentissait dans la cabane obscure, entrecoupée
de râles à fendre le cœur. Il avait le front couvert de sueur. Héloïse se
saisit d’un linge propre, le trempa dans une bassine d’eau de pluie, l’épongea.
Ses cheveux noirs étaient noyés dans un oreiller de toile grossière, comme une
corolle autour de son visage blême. La flamme d’une torche tremblotait non loin
de lui.
— Ah !… Aimery, dit Arnaud sur son
lit de mort. C’est toi… ajouta-t-il, faisant un effort démesuré.
Il toussa.
— C’est moi, dit Aimery, submergé de
tristesse. C’est moi, mon ami. Ne te fatigue pas. Ne parle pas. Je suis avec
toi.
— J’ai soif, dit Arnaud, tendant les
lèvres.
Héloïse passa délicatement la main sous le cou
d’Arnaud et le fit boire. Cela même, sentir l’eau couler dans sa gorge, était
devenu une souffrance.
Puis il saisit le bras d’Aimery.
— Que se passe-t-il, dehors ? demanda-t-il.
Personne ne m’a rien dit, tu comprends ? Personne n’a rien voulu me dire !
Aimery regarda Héloïse avec étonnement, puis
son père.
Escartille hocha la tête d’un air désespéré.
— Quinze
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