L'Église de Satan
jours, chuchota alors Aimery, se
penchant vers lui, lui caressant le visage. Ils ont donné quinze jours. Il nous
en reste moins à présent, le temps file entre nos doigts.
La main d’Arnaud retomba lourdement.
Aimery continua, la bouche sèche :
— Ils n’ont pas discuté longtemps. Ils
sont excédés, eux aussi… Ils ont posé leurs conditions, mon ami. Ils nous
laissent le choix, mourir ou être libres. Il n’y a rien de pire. Raymond de
Péreille et Pierre-Roger ont cessé de croire que le comte de Toulouse viendra
nous sauver, continua Aimery d’une voix tremblante.
Arnaud l’interrompit.
— Je voudrais… je voudrais mourir dès à
présent, plutôt que d’assister à ce qui va arriver. Vous voir tous emmenés au
bûcher… Y être transporté moi-même, sans doute… C’est au-dessus de mes forces !
Pour moi, l’heure de la délivrance est proche…
Il ferma les yeux. Aimery eut peur ; il
crut que c’en était fini. Pourtant, au bout de quelques secondes, Arnaud ouvrit
de nouveau les yeux.
Son regard était empli de larmes.
— Mais vous, qu’allez-vous faire ?… Toi ?
Et ta belle Héloïse ? Et ton père ?
Aimery sentit son âme se soulever. Il s’approcha
encore d’Arnaud, il aurait voulu le prendre dans ses bras, l’étreindre de
toutes se forces.
— Ce que nous allons faire ? Je ne
sais pas, mon ami… Je ne sais pas, mon Dieu, je n’en sais rien du tout !
Derrière lui, debout, le visage dans l’ombre, Héloïse
ne put retenir ses sanglots. Elle passa la main sur son ventre.
L’enfant bougea en elle.
Arnaud venait de se figer dans un spasme de
douleur. Il tendit une main dans le vide. Elle se contracta comme une serre
sous le feu de la douleur. Aimery eut un mouvement de recul, désespéré d’assister
encore à ce spectacle affreux d’une vie qui s’enfuit peu à peu. Il regardait
cette main tendue, qu’il ne pouvait secourir, hébété, impuissant. De nouveau, la
main retomba. Le souffle d’Arnaud s’accéléra. Il tourna vers Escartille un
regard de plus en plus lointain, chavirant, qui commençait à se perdre derrière
un voile fantomatique. Il semblait une nouvelle fois à Escartille que tout
était joué. Au plus profond de sa douleur, Arnaud réunit subitement ses
dernières forces.
— Escartille… Consolez-moi, je vous en
prie. Cette guerre… C’était une guerre des âmes, qui s’est jouée au plus
profond de chacun d’entre nous… J’ai vu les armées du pape et du roi fondre sur
nos familles… J’ai vu tant de mal… Escartille… Promettez-moi que vous porterez
témoignage de tout cela !
— Oui ! Oui, dit Escartille, oui. Je
le promets.
— Promets-moi…
Cette fois, c’était fini. Escartille procéda
au consolament en toute hâte. Puis Arnaud croisa une dernière fois les
yeux de sa femme et de sa fille, qui venaient d’entrer. Elles se jetèrent à
genoux auprès de sa couche. Escartille, Aimery et Héloïse reculèrent. Arnaud
accueillit la paume de leurs mains et la pressa avec chaleur. Il leur murmurait
à l’oreille, elles pleuraient.
— Reste, je t’en prie ! s’écria sa
femme.
Il expira.
Le visage nimbé de larmes, Aimery sortit.
On l’avait consolé. Mais son corps brûlerait
sur le bûcher, comme les autres.
Heureusement, il ne le verrait pas.
Et les jours continuèrent de filer, pas à
pas.
Les secondes tombaient une à une dans le
silence de leurs prières.
La mort s’approchait toujours insidieusement, comme
un grand voile qui, peu à peu, enveloppait le château en ruine de Montségur.
Le 4 mars, d’autres personnes demandèrent le consolament.
Puis, le jour durant, il ne se passa plus rien.
Rien.
On se parlait parfois, ici au milieu de la
cour, là auprès des cabanes, ou sur le chemin de ronde. Puis on retournait
auprès des siens. On essayait de manger quelque chose. On priait. On comptait
les heures.
Les yeux perdus dans le vide, dans ce paysage
immense.
Les 4, 5 et 6 mars, on réunit l’ensemble
des vivres qui restaient à la communauté.
Bertrand Marty, Raymond de Péreille et
Pierre-Roger de Mirepoix procédèrent au maigre état des lieux. Chacun remit ce
qui lui restait de fortune personnelle. Quelques sous, de-ci de-là, que l’on
mit dans de petits coffrets. Une couverture, de l’huile, du poivre, du sel, des
draps. On compta les dernières livres de blé, les manteaux, les pourpoints, les
bonnets, les braies, les derniers vêtements cousus dans l’atelier de
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