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L'Église de Satan

L'Église de Satan

Titel: L'Église de Satan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnaud Delalande
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Philippe ?
Une datation au carbone 14, à supposer que nous parvenions à l’obtenir grâce à
tes relations dans les milieux scientifiques, pourrait nous renseigner sur la date
approximative de ces ossements, ce qui serait déjà un pas. Une expertise ADN
nous aiderait davantage : encore faudrait-il trouver les moyens de
reconstituer fidèlement une photographie de l’ADN complet de notre cadavre. Mais
en l’absence de marques suffisantes – pigments de peau, traces de salive ou
restes de cheveux – cela est hautement improbable, pour ne pas dire impossible !
Pourtant, il nous faut tout tenter. Il nous suffit d’un souffle.
    D’un miracle peut-être.
    Le corps du Christ.
    Nous devons savoir s’il existe.

16 Tol le corpus satani ________________________ Mars 1244
    « À partir de la sixième heure, l’obscurité se
    fit sur toute la terre, jusqu’à la neuvième heure.
    Et vers la neuvième heure, Jésus clama en un
    grand cri : Eli, Eli, lema sabachtani ?, c’est-à-dire :
    Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu
    abandonné ? »
    Matthieu, XXVII, 45-46.
    Quinze jours.
    Ce fut l’attente la plus sombre, la plus
douloureuse que vécurent alors les habitants de Montségur, isolés au sommet du pech glacial, à peine débarrassé des neiges de l’hiver.
    Le matin du 2 mars, les survivants se
croisaient dans la brume comme des fantômes, au milieu des ruines. Le cœur
serré, l’air hébété, ils trébuchaient parfois sur l’un des boulets profondément
encastrés dans le sol. Ils évitaient les monceaux de pierres tombés en cascade
de la muraille. Les combats quotidiens ayant cessé, ils éprouvèrent un maigre
soulagement dans cette accalmie, se réinstallant dans les cabanes du castrum aux toitures défoncées, emmitouflés dans des couvertures. De toutes parts, le
vent sifflait. Ils s’asseyaient contre un mur, à deux, trois ou quatre, pour se
tenir chaud, en silence.
    Escartille se tenait sur le chemin de garde. Il
regardait, en contrebas, l’armée croisée qui attendait comme eux, prête à
laisser s’égrener le fil de ces jours, sûre à présent de sa victoire. À ses
côtés se trouvait l’un des derniers soldats de Montségur, assis en tailleur, le
visage tourné vers cette cour où quelques personnes passaient de temps à autre.
    Escartille se racla la gorge. Ses poumons lui
faisaient mal. Il éprouvait même, parfois, de la difficulté à respirer. Comme
si, déjà, le feu le gagnait. Il se tourna vers le soldat. Il s’appelait
Guillaume Mir, c’était un sergent venu de Queille au mois de février ; autant
dire qu’il avait couru au suicide. Lui aussi avait longtemps été un agent de
liaison au service des hérétiques.
    — Pierre-Roger croit peut-être encore que
le comte de Toulouse viendra nous sauver…
    — Il ne viendra pas, dit Guillaume d’une
voix sombre, sans lever les yeux. Tous les messagers sont partis, aucun n’est
revenu. Nous sommes seuls. Ni Toulouse, ni Peyrepertuse, ni Quéribus, ni aucun
des châteaux voisins ne nous enverront plus de troupes. Ils sont trop nombreux.
Tout est perdu.
    Escartille considéra Guillaume quelques
instants. Son visage long et ses paupières tombantes lui rappelaient quelqu’un
qu’il avait dû croiser autrefois. Cette impression l’occupa un instant ; il
fouilla dans ses souvenirs à la recherche d’une figure, d’une situation
semblable. Enfin, l’image de Charles de Montesquiou lui revint en mémoire.
    — Guillaume, je songeais à un homme que j’ai
rencontré il y a de cela trente-trois ans, lorsque tout a commencé. Il te
ressemblait un peu… Il s’appelait Charles de Montesquiou. Il venait de la ville
d’Agen, et je ne sais pour quelle raison, s’était retrouvé sur les remparts de
la ville de Béziers, quelques heures avant le massacre. Mon Dieu, je l’avais
presque oublié… Nous jouions aux dés, il ne cessait de siffler des flacons d’armagnac.
Un joyeux luron, oui ! Et nous attendions, comme aujourd’hui. Un autre
combat, une autre bataille, la première celle-ci. Si j’avais su, alors, où tout
cela nous entraînerait ! Nous espérions passer la quarantaine, avant que
les croisés ne regagnent leurs foyers. Nous pensions tenir le siège. Et puis…
    Escartille se passa la langue sur les lèvres.
    — Et puis en quelques minutes, ça a
tourné au massacre que tu sais. Charles de Montesquiou a été la première
personne de ma connaissance à mourir sous mes yeux, dans cette guerre.

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