L'Église de Satan
Christ !
La nuit était tombée et, tandis que, les
cheveux dans le vent, il comptait les heures le séparant du terrible moment qui
l’attendait, les souvenirs venaient de nouveau affluer à sa mémoire. Escartille
regarda encore les tentes ennemies, perdues dans l’obscurité, puis la flamme de
sa bougie, restée vivace malgré la bourrasque.
Il souffla dessus, leva les bras, seul au
milieu de ce pic glacial et déchiqueté.
On ne s’accrocherait plus qu’aux symboles,
derniers refuges d’espérance avant la fin.
Bienvenue dans l’Église
de Satan.
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Deus absconditus ________________________ Janvier
2001
Journal d’Antoine Desclaibes.
Il n’y a pas eu de miracle.
Je ne sais si je dois en être frustré ou
soulagé, tant l’enjeu est d’importance. Au moment même où nous avons cru
toucher une forme de réponse, dont la poursuite n’a cessé d’animer nos
recherches, il semble que celle-ci nous soit ôtée aussitôt. Deus absconditus, disait Pascal. Dieu est caché. Il nous dissimule, une fois encore, ses
vérités. Mais pouvait-il en être autrement ? Qu’attendais-je, au fond, de
ces recherches, et de cette expertise ? La découverte de l’ADN du
Saint-Esprit, le secret de l’Immaculée Conception ? Philippe a fait
diligence dans notre affaire, en archéologue convaincu et assoiffé de
découvertes. La datation carbone a été effectuée par le laboratoire spécialisé
du Génopôle d’Evry, aux portes de Paris. Les analyses montrent que les reliques
remontent effectivement à deux mille ans. Aux alentours de l’an 32, pour être
exact. Ce qui pourrait correspondre avec l’année de la mort du Christ.
C’est aujourd’hui notre seule certitude ;
et pour l’heure, il ne saurait y en avoir d’autre.
La résurrection de la chair, réalité ou
canular ?
Acte de foi seulement. Tout reste affaire de
convictions, une fois de plus. C’est bien cela, le sens de l’aventure cathare :
interroger, mettre à l’épreuve, torturer parfois, nos convictions les plus
intimes. Quel orgueil d’avoir pensé, un instant, qu’il pourrait en être
autrement.
Seigneur, dans quoi me suis-je lancé ? Le Livre de Vie n’était-il que le prétexte à des errements sans
lendemain ? Me voilà vaincu, épuisé. Je me heurte à un nouveau mur. Bientôt,
j’abandonnerai l’archiviste dans son sanctuaire de papier. Lové dans son enfer,
il continuera à attendre les prochaines arrivées de ces livres qui, mis à l’index,
iront rejoindre son grand brasier. Je songe à la folle ardeur que j’ai mise
dans ces recherches. En vérité, je me sens brisé. C’est comme si je m’étais
moi-même trouvé au milieu du massacre de Béziers, comme si j’avais assisté à l’emprisonnement
de Trencavel, à la bataille de Muret ; il m’a semblé faire face à mon tour
aux procès de l’Inquisition et aux bûchers. Quarante ans de guerre, d’autodafés,
d’inlassables tueries. Et ce n’est pas terminé. Je m’achemine à présent vers le
dernier épisode de cette épopée.
J’étais incapable de travailler aujourd’hui.
Je n’ai pu qu’errer dans les rues parisiennes. Passant près d’un kiosque, j’ai
acheté le journal. Il y avait, en première page, la photo d’un gamin israélien
fauché par un tir de mitraillette. Son père le recueillait dans ses bras en
pleurant. Cette photo a eu sur moi un terrible effet ; je l’ai regardée
longtemps, sans pouvoir en décrocher mes yeux, les mains tremblantes sur le
papier, assis dans un square voisin. Guerres de religion. On les croirait d’un
autre temps ; on croirait que deux mille ans d’Histoire, que dis-je, des
dizaines de milliers d’années de notre histoire auraient suffi à nous
débarrasser une fois pour toutes du pire des maux : cette constante, invariable
faculté que nous avons, au nom de nos idéaux, à organiser notre mutuelle
extermination. Mais non. Sans doute faut-il admettre que nous avons notre part
d’ombre, notre enfer, nous aussi. Il ressurgit, tantôt ici, tantôt là, à
travers le monde.
D’un pas lourd, je me suis rendu à l’église
de Saint-Germain. Je me suis effondré devant le grand crucifix, près de l’autel.
J’ai vu cet homme, tête baissée, ceint de sa couronne d’épines d’où coulait un
filet de sang. J’ai regardé ses mains et ses pieds cloutés, l’entaille profonde
qui courait le long de son flanc. J’ai vu ce corps, cette dépouille inerte. En
d’autres temps et en d’autres
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