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L'Église de Satan

L'Église de Satan

Titel: L'Église de Satan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnaud Delalande
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n’avaient jamais été réalisées. Les 1 508 laisses qu’il
avait composées ne constituaient pas la totalité de son poème. Certaines n’étaient
pas numérotées et étaient demeurées incomplètes. Au gré de son travail et des
aléas de sa vie tourmentée, Escartille avait laissé des blancs. Les blancs d’une
chanson qui, par nature, était destinée à ne jamais complètement s’achever. Et
pourtant, alors qu’il se tenait là, auprès de son pupitre, entendant le
sifflement de la bourrasque au-dehors, alors qu’autour de lui on priait de
toutes parts en attendant une mort inéluctable, Escartille sentait qu’approchait
le point final, le point de non-retour.
    Une histoire, c’est comme une fleur…
    Le Livre de Vie touche à sa fin.
    Escartille était remonté dans sa cellule pour
coucher sur ses parchemins le récit de cette terrible agonie qui commençait. Alors
il écrivit, comme un fou, au bord de l’holocauste qui les attendait tous. Il
écrivit au point d’en avoir mal au crâne, aux yeux, au poignet, à tous ses
membres, libérant comme dans un spasme toutes ses dernières énergies, noircissant
encore et encore, page après page, rouleau après rouleau, biffant, revenant, recommençant,
trouvant la rime, hurlant, il écrivit jusqu’à voir vivantes ses hallucinations,
il écrivit jusqu’à ce que le soleil, arc de cercle rouge et incandescent, pointe
à l’horizon, lui rappelant qu’il y avait encore un jour, un jour un seul, un
jour nouveau.
    Le soir du 15 mars, il enroula ses
parchemins dans sa besace.
    Il sortit, une bougie à la main.
    Il marcha dans la cour rocheuse du château, contourna
çà et là les boulets ennemis, qui étaient demeurés depuis quinze jours. Ils
avaient fait éclater des morceaux de dalles et s’étaient profondément fichés en
terre. Le toit des écuries était brisé en deux. Les larmes lui venaient aux
yeux. Le troubadour s’approcha de l’étroit escalier de pierre qui le séparait
du chemin de garde. Il en monta les marches lentement, les membres perclus de
douleur. Il n’était plus ce jeune homme alerte et insolent qui, autrefois, charmait
les dames des cours d’amour. C’était donc cela, le destin ! Passer dans
cette vie comme un fantôme, sans rien y comprendre ; et se retrouver au
seuil de la mort, le bûcher au bout du chemin… Il avait atterri à Montségur
avec son fils, avec Héloïse, et maintenant son petit-fils ; et il se
préparait au plus déchirant des adieux, lui qui était prêt à tous les
sacrifices ! Seule l’idée qu’il parviendrait peut-être à sauver Pierre lui
donnait du courage. Les longues années qui éclaboussaient à présent sa mémoire
avaient fait leur œuvre ; elles défilaient devant lui, restituant soudain
des émotions, des images, des parfums oubliés.
    Le vent siffla encore à ses oreilles.
    Puivert…
    La flamme de la bougie tremblait devant ses
yeux.
    Arrivé au sommet du chemin de garde, le
troubadour jeta un regard vers le ciel. Il croisa deux guetteurs, qui n’avaient
plus rien à guetter. Il faisait déjà très sombre ; peut-être la tempête se
lèverait-elle dans la nuit. Escartille lorgna vers le précipice. Le vent lui
fouetta le visage. Loin en contrebas, au pied du pic de Montségur, l’ennemi
avait allumé les premiers flambeaux. On devinait à peine les entrelacs de ces
tentes innombrables des soldats de l’ost. Non loin, la barbacane s’était tue. Plus
de boulets, plus de cris ni de sang ; seulement le silence, ce silence
glacial et recueilli, prélude au chapitre ultime de cette tragédie dans
laquelle Escartille avait, tout au long de sa vie, été entraîné malgré lui. Il
ferma les yeux, inspira profondément.
    Attends, Escartille, attends maintenant la
mort ; la sens-tu qui rôde autour de toi ?
    Bouleversé, le vieux troubadour chassa comme
il put ces sombres pensées ; la vie ! La vie ! N’était-ce pas à
elle qu’il fallait penser, encore et toujours ? Puivert, Puivert et ses
belles et ses danses et ses douces musiques, il devait s’y accrocher, s’y
perdre encore !
    — Louve, murmura-t-il soudain. Ma belle
Louve.
    Le sourire d’Escartille se fit plus lumineux à
mesure qu’il se laissait envahir par cette étrange nostalgie, rayonnante et
funèbre à la fois ; cette morsure vive comme le froid et brûlante comme
les braises d’un bûcher refusant de s’éteindre.
    Montségur ! Montségur, cœur du démon
ou dernier refuge des apôtres du

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