L'Église de Satan
Église reposent sur vous.
— Vous me demandez de les laisser aller
au bûcher pour sauver les reliques du Christ !
C’était tellement incroyable qu’Escartille eut
du mal à croire qu’il avait lui-même prononcé ces paroles.
— Les reliques du Christ, dit Bertrand
Marty. C’est ce que nous avons cru un moment, en entendant ce chevalier venu
autrefois à Montségur. C’est ce que certains d’entre eux, leurs papes
successifs peut-être, l’évêque Aguilah certainement, ont cru eux aussi. Nous ne
saurons sans doute jamais si cela est vrai, Escartille. Mais si ça l’était…
Il hocha la tête :
— Mon Dieu, si ça l’était ? Alors, nous
saurions que le triomphe ultime reviendra, quoi que nous fassions, à la Matière.
À la Mort, que nous allons affronter dans deux jours à peine. Leur authenticité
nous fait peur autant qu’à eux : c’est le même doute, au fond, qu’elle
sème dans notre esprit. Non… Ce ne serait une victoire pour personne, Escartille.
Il inspira :
— Pour personne.
Escartille demanda quelques heures de
réflexion.
Il était prévu que, la veille du bûcher
préparé pour la colonie cathare, les quatre parfaits choisis par les chefs de
Montségur iraient se cacher avec des cordes dans un conduit naturel donnant sur
le flanc du château. Avant que ne pointe le jour, ils descendraient avec ce qui
restait du trésor. Puis ils se rendraient jusque dans la fameuse grotte du
Sabarthès, au milieu de la forêt.
Et ils cacheraient ces derniers biens, avant d’en
informer les autres parfaits en fuite.
Ils auraient la vie sauve.
Escartille se rendit dans le souterrain
où, déjà, Bertrand Marty l’avait conduit.
On lui ouvrit la porte, qui grinça devant lui.
Les livres étaient là.
Et les reliques.
Ces ossements. Ce crâne démonté. Toujours, cette
étrange luminescence. Et ce morceau de matière sur lequel on pouvait distinguer
ces quatre lettres, à moitié avalées par le temps. INRI.
Escartille s’assit. Il resta là longtemps,
sans bouger.
Il revit toute son existence passer devant ses
yeux.
Elle prenait sens maintenant, dans toute sa tragique
ironie.
Les reliques étalaient devant lui leur sombre
gloire, épiphanie divine autant qu’infernale. Un buisson couvert de feu et de
soufre, un buisson mêlé de fleurs et d’épines, de beautés à la douce corolle et
de pétales vénéneux.
Il allait laisser sacrifier son fils, et
Héloïse, qui était devenue comme sa fille.
Pour sauver leur enfant et les restes d’un
Christ hypothétique.
À la fin, il se leva. De toutes ses forces, il
pensa aux siens, au visage poupin, fragile, de cet enfant qui, à peine né, était
promis à une épouvantable damnation. Et lorsqu’il vit qu’il n’y avait pas d’autre
solution, il alla voir Bertrand Marty, lui dit qu’il avait accepté.
Puis il alla tout raconter à Aimery et Héloïse.
Dans la nuit du 14 au 15 mars, Escartille
se rendit dans une cellule glaciale, au-dessus des logements de Raymond de
Péreille et de sa famille, d’où il pouvait dominer la citadelle, au sommet du pech. Il était à son pupitre de travail.
Lentement, il sortit de sa besace son rebec et
son bonnet de jadis.
Il posa sa plume, la ficha dans son galurin
dont il se coiffa ensuite, répétant ce geste qu’il avait fait des milliers de
fois et qui, aujourd’hui, lui était un supplice. Son cœur n’était plus que
tristesse et amertume.
Nous savons… Nous savons que nous allons tous
mourir, Escartille.
Il regarda son pupitre. Trois rouleaux de
parchemin l’y attendaient.
Quinze jours.
Promets-moi que tu en porteras témoignage.
L’amour et la mort, voici ce que l’on
trouverait dans son Livre de Vie.
Il ne lui restait que quelques heures pour l’achever.
C’était un long poème courtois, de près de
vingt mille vers alexandrins. Le troubadour l’avait écrit sur d’innombrables
feuilles de parchemin, qu’il avait étalées devant lui, sur le pupitre, sur la
paillasse qui servait de lit, contre ces murs de pierre nue, suintants d’humidité. Une histoire, c’est comme une fleur… Il y avait raconté le chemin de sa
vie. Ses souffrances étaient appelées à culminer ici même, au sommet de ce pech de Montségur, que l’on avait cru pourtant inviolable. Escartille avait
griffonné des pages et des pages, les unes après les autres. Au fil des
rouleaux, il avait laissé des espaces blancs réservés aux illustrations de ses
parchemins, qui
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