L'Église de Satan
lieux, combien de symboles comme celui-ci les
hommes ont-ils adorés ? Combien ces symboles ont-ils sauvé, ou tué, d’existences
humaines ? Dieu, quelle que soit la définition que nous lui donnions… reste
invariablement muet. Je me suis demandé, avec les cathares : ce monde
est-il un enfer ? Et si, au fond, il n’y avait rien, rien du tout, que la
seule promesse de notre putréfaction ? En quoi faut-il croire aujourd’hui,
en quoi pouvons-nous croire ? En rien, peut-être. Et cette idée m’a rempli
d’un effroi sans nom. Renoncer à ce qui fait le sens de notre humanité, cette
recherche qui n’a cessé de hanter notre condition, voilà qui a achevé de m’abattre.
J’ai senti de nouveau la beauté funèbre de la révolte cathare. Je ne puis dire
pourtant, aujourd’hui, que je m’associe à leur pensée. J’y vois une curiosité, un
emblème de notre drame, mêlant toutes les contradictions, toute la complexité
imaginable de notre destinée. Les hérétiques ne sont pas toujours ceux que l’on
croit. Notre XX e siècle a repoussé les limites de notre barbarie. Il
n’a rien eu à envier aux obscurantismes d’autrefois. Il a su poser sous des
formes différentes l’éternelle question du Mal et de notre responsabilité en ce
monde. Aujourd’hui, c’est un millénaire qui s’ouvre devant nous. Mais de l’impasse
métaphysique où je me trouve conduit, de ces guerres sans fin et sans issue, je
ne retire que le sentiment profond de l’absurde, et la conscience aiguë de la
folie des hommes.
Je me suis levé. J’avais soudain les
larmes aux yeux. J’ai regardé ce crucifix, sans savoir si je devais l’aimer ou
le haïr, rappeler sa présence ou le bannir loin de moi.
Et toi, Jésus le Nazaréen ? Existes-tu ?
Es-tu vivant ?
Deus absconditus.
J’ai regardé le crucifix en priant pour tous
les damnés de la terre.
Comme je voudrais aimer ! Comme je
voudrais que nous puissions nous en sortir !
Alors, un cri effrayant est venu de mes
entrailles.
Et je Lui ai dit :
Pourquoi ce silence ?
Puis je suis ressorti de l’église.
À présent, le soir tombe et ma révolte s’achève.
Je m’en vais.
Je dois retourner en enfer, une dernière fois.
Il me faut reprendre courage, revenir au monde. N’est-ce pas cela, en
définitive, le message que nous livrent ces hommes et ces femmes de l’Église de
Satan, par-delà les siècles ? Eh bien, je me battrai. Tant que j’aurai un
souffle de vie, je continuerai de chercher, de sonder le mystère de notre
existence, encore et encore. Que deviendront les reliques, bouclées dans leur
coffret noir et luisant ? Termineront-elles dans un musée, ou, une fois
encore, dans quelque sous-sol poussiéreux, attendant le prochain d’entre nous
qui se penchera sur elles, pour tenter de pénétrer leur mystère ?
Les reliques ! Les reliques du Christ !
Reliques ou pas, qu’importe, après tout ?
Quelle absurdité que nos tueries incessantes, et que les prétextes qui leur
servent de mobiles ! Dieu catholique, cathare, juif, musulman ! Mais
le jeu en vaut-il la chandelle, si ce prétendu amour divin doit conduire aux
pires massacres ? Si pour exister, la Vérité des religions révélées doit s’épanouir
dans le sang de ceux qui la défendent ? Là où je cherchais, au cœur de
cette épopée cathare, une preuve de l’existence de Dieu, je n’ai trouvé que la
souffrance et la nécessité d’aimer.
Aimer : n’était-ce pas la seule foi, la
seule loi d’Escartille ? Et en définitive, cette loi n’est-elle pas Dieu
Lui-même – le visage de Dieu en nous ?
C’est en tout cas la seule raison pour
laquelle je continuerai de chercher. Pour elle, et pour cette mémoire, cette
triste mémoire de ceux dont la vie fut ravinée de sang.
Alors j’arrive, ami archiviste… J’arrive au
milieu de tes livres, de tes flamboyants manuscrits, de tes recueils interdits !
J’arrive, Escartille, pour le final de ton Livre de Vie.
Tout est perdu, à moins que la réponse ne se
trouve quelque part dans ces dernières laisses, à moins que…
Escartille, que me diras-tu au bout de tout
ceci ? Que restera-t-il de vous ?
La seule marche de l’Histoire, peut-être.
Et un éternel défi posé à notre soif d’amour.
Alors place au spectacle, et que Dieu
soit avec nous.
18
Le bûcher ________________________ 16 mars
1244
« Il est des citadelles sombres,
d ’où
la lumière jaillit, jaillit d’entre les tombes
Et dont le
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