L'Église de Satan
musiciens, dans
leurs habits somptueux. Don Antonio apparut, le menton haut, et se dirigea vers
l’attelage, tandis qu’une haie se formait devant lui. Un masque de cire
recouvrait son visage. Pas le moindre signe d’émotion. Drapé dans sa noblesse, il
allait jusqu’à ignorer l’honneur outragé de sa fille. Il ne restait plus que le
silence, et cette silhouette hiératique qui glissait vers l’attelage. Il y eut
un instant où Don Antonio jeta un coup d’œil vers l’assemblée. Il repéra Escartille.
Le troubadour en fut transpercé. Comme si son chagrin n’était pas à son comble,
on fit venir Louve. Elle sortait de l’intérieur du château, encadrée de ses
servantes. Elle apparut sublime.
Elle était recoiffée et revêtue de la plus
superbe de ses robes, dont les volutes dansaient autour d’elle. Des broches d’or
enserraient sa chevelure. Une mantille recouvrait ses épaules, dont les pans s’écartaient
doucement à mesure de sa marche. Le fard cachait mal sa pâleur et le désarroi
que l’on pouvait lire sur son visage. Sa blessure s’y peignait à présent de
telle façon qu’Escartille la prenait lui-même en plein cœur. Était-ce là le
résultat de son désir égoïste ? Comment le troubadour avait-il pu la
condamner ainsi à cette humiliation ? Ses yeux étaient rougis de larmes. Elle
jouait de son éventail. Elle était devenue l’emblème du péché et du mensonge. Devant
Puivert, ce château pourtant habitué à tous les élans de la fine amor, à
toutes les malices et toutes les trahisons ! Par quelle hypocrisie cet
amour-là était-il intolérable ? On s’écartait sur le passage de Louve en
chuchotant. Par-delà cet acharnement cruel et silencieux, la noblesse de
Puivert ne pouvait contempler la belle Espagnole qu’avec respect, et y puisait
même une étrange consolation. Les plus âgés songeaient à leur jeunesse enfuie ;
les plus jeunes entrevoyaient pour la première fois ce que signifiait l’amour
vrai. Louve se couvrait maladroitement le visage. Elle prit place dans l’attelage,
ramena autour d’elle ce drapé qui n’était là que pour déguiser la perfection de
sa taille. Elle était entourée d’un mystère nouveau, qui enflammait l’imagination
et suscitait les plus secrètes jalousies.
Qu’elle lève les yeux vers lui !
Elle envoya alors à Escartille un regard qui
survola cette triste assemblée ; et ce regard disait : quel
philtre m’avez-vous fait boire, mon ami ?
— Louve !
s’écria-t-il.
Sans doute la garde de Bernard du Congost
avait-elle prévu cette éventualité. À peine Escartille avait-il bougé que des
bras le saisirent.
La belle le regarda encore.
— Louve, murmura Escartille.
Elle ne dit rien mais ne le quitta pas des
yeux. Le troubadour fit une prière muette.
Puis il cria, de toutes ses forces :
— Je vous retrouverai ! Je vous en
fais le serment, Louve d’Aragon !
Et Louve partit.
Bernard du Congost choisit de différer l’exil
du jeune homme. Il le consigna quelques jours dans une chambre du château. Escartille
se retrouva prisonnier d’une cage dorée, condamné à imaginer l’escorte de Louve
et de son père qui s’enfuyait sur les routes. Il tambourinait contre les portes.
Dans les couloirs et le creux des alcôves, on s’interrogeait : quelle
maladie s’était donc saisie de lui ? Était-il fou ? Son attitude
suscita une compassion amusée. On fit défiler ses amis tour à tour pour tenter
de le ramener à la raison. Mais sitôt que l’on croyait avoir regagné sa confiance,
il devenait colérique et violent, ou bien se murait dans le silence. Intendants,
chapelains et soldats ne purent que constater leur échec. On lui envoya un
prêtre, que le troubadour ne put souffrir. Vexé, l’abbé commença à parler de
possession. Sur une idée d’Arpaïx, Bernard du Congost tenta une autre manœuvre.
La femme du seigneur de Puivert considérait, non sans intelligence, que les
emportements excessifs d’Escartille n’étaient que l’effet de son immaturité. Ils
voulurent s’en servir, en introduisant dans sa chambre une créature ravissante,
qui avait pour mission de lui faire oublier le souvenir de Louve. « Lorsque
la vigne devient mauvaise, c’est le cep qu’il faut couper », disaient
Bernard et Arpaïx, philosophes. Amandine était jolie et parfumée, elle s’était
parée de bijoux et jouait des plus coquettes ondulations pour la circonstance. Elle
offrit du vin au troubadour,
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