L'Église de Satan
l’étoile parmi les étoiles. La
Dame blanche.
Elle n’attendait que lui.
Escartille s’avança.
Ils échangèrent un regard intense. Elle ne dit
rien, lui sourit. Il s’approcha.
Ils restèrent ainsi silencieux un long moment.
Escartille commença alors à chanter, à voix
basse.
Il la sentit frémir. Une étole de soie
couvrait ses épaules nues au-dessous de ses voiles. Ses seins se soulevaient au
rythme de sa respiration. Elle regardait au loin, vers le village animé de
rondes effrénées, écoutant Escartille. Il lui prit la main. Elle frissonna
comme si elle avait froid, n’osant se tourner vers lui. Mais elle ne retira pas
sa main. Il ne savait si le tremblement qu’il devinait en elle était le fait de
son émotion, ou de son embarras. Dans cet instant où il risquait toute sa
passion, Escartille fut saisi de vertige, craignant l’irritation de Louve plus
que tout. Ses yeux plongèrent soudain dans ceux du troubadour, comme pour le
sonder, guetter la vérité qu’elle pourrait y lire. Il se livrait à elle tout
entier ; elle le comprit.
Escartille entraîna Louve dans un recoin du
château.
Elle ne résista pas.
Elle s’abandonna avec toute la candeur de l’amour,
suscitant chez Escartille la passion la plus inspirée. Oui, le troubadour se
souviendrait de cette belle Espagnole, de la façon dont elle s’arrangea pour
congédier ses servantes et se dissimuler à son père, des délices où elle l’entraîna,
de ces bracelets tintant dans l’obscurité. Ils s’endormirent au plus profond de
la nuit. Ils avaient fait naufrage, ils s’étaient noyés et perdus. Lorsqu’ils
se réveillèrent, eux qui avaient une fois de plus succombé aux enchantements de
Puivert, Loba se redressa dans un rayon de soleil, entre les draps encore
humides.
— Mon Dieu ! dit-elle.
Son visage s’assombrit. Elle regagna sa
chambre en toute hâte.
Don Antonio sut-il ce qui s’était passé cette
nuit-là ? Il avait cherché sa fille aux premières lueurs de l’aube. Il la
trouva dans son lit, mais ne fut pas dupe des prétextes qu’elle invoqua pour
son absence réitérée, ni des bafouillages de ses servantes. Il décida de mettre
un terme à son séjour à Puivert. Il n’avait que trop tardé. Raymond VI l’attendait
à Toulouse : il lui fallait gagner la destination ultime de son voyage. Durant
le jour qui s’écoula, Escartille ne fut pas avisé de cette décision. Il ne put
revoir Louve, murée dans ses quartiers. De noires pensées le submergèrent. Que
pouvait faire Louve dans sa chambre ? Pensait-elle à leur nuit, et à ce jour
tranquille qui l’avait précédée ? Regrettait-elle déjà de s’être donnée à
lui ? Lorsque le troubadour descendit dans les jardins, il lui sembla qu’on
le regardait comme un intrus en sa propre maison. Il s’aventura sous le lierre,
d’où il pouvait voir la fenêtre derrière laquelle Louve se trouvait. En fin de
journée, il ne put s’y tromper : les chevaux de Don Antonio étaient
attelés. On n’attendait plus que le seigneur et sa fille.
Escartille retrouva Bernard du Congost dans la
cour. Le seigneur de Puivert était un homme grand, fluet, aux cheveux ras. Il
souhaitait que la modération demeure dans ses domaines et détestait l’agitation.
Il portait ce jour-là un médaillon autour du cou, gravé des armoiries du
château, ainsi qu’une cape rouge par-dessus un manteau de petit-gris, serré d’un
ceinturon d’or. Dès qu’il vit le troubadour, il s’approcha de lui et s’arrêta, l’air
soucieux :
— Escartille, est-ce vrai ce que l’on
murmure aujourd’hui ?
— Quoi donc, Messire ?
— Que le comte Don Antonio nous quitte
par ta faute ?
Escartille blêmit.
— Qu’il… nous quitte ?
Ainsi, c’était bien cela ! Ils partaient !
Ils partaient, tout simplement !
Mais… Ce n’est pas possible ! se dit Escartille.
C’était pourtant la vérité. Bernard du Congost
commençait à le sermonner, mais déjà, le troubadour n’écoutait plus. Elle
part ! Elle part ! ne cessait-il de se répéter.
Il voulut forcer tous les barrages pour
retrouver Louve, mais rien n’y fit. Les portes étaient farouchement gardées. Don
Antonio fut sourd à ses appels. Escartille tournait en rond. Rien n’était plus
humiliant.
La population de Puivert se rassembla bientôt
dans la cour, le long des murs : Arpaïx et Bernard du Congost, les dames
voilées, les seigneurs et leurs blasons, les poètes et les
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