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L'Église de Satan

L'Église de Satan

Titel: L'Église de Satan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnaud Delalande
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avait un visage rond, un
double menton, des hanches larges ; quelques rides couraient sur son front.
Cette fois, Escartille poussa une exclamation.
    Il venait de reconnaître Inès, l’une des
confidentes de Louve. Elle promenait autour d’elle des regards inquiets et
égarés.
    — Comment êtes-vous entrés ici ? demanda-t-il
soudain.
    — Je n’ai pas beaucoup de temps, dit la
servante d’une voix étranglée. J’ai avec moi un papier frappé du sceau de Don
Antonio, que ma chère Loba lui a subtilisé avant d’imiter son écriture. La
garde de Puivert croit mon message adressé à messire Bernard du Congost. Et
vous savez comme moi que les défenses de ce château ne valent guère l’obstination
d’une Aragonaise. Mais hâtons-nous, on ne tardera pas à se rendre compte de la
supercherie… J’ai quelque chose pour vous.
    — Une lettre d’elle ? s’exclama le
troubadour. Donnez-la-moi ! Ainsi, elle ne m’a pas oublié, malgré tout !
Où est-elle ? Comment va-t-elle ?
    — Ce n’est pas une lettre.
    Il y eut un nouvel éclair. Le vacarme de l’eau
qui ruisselait autour d’eux força le jeune homme à crier :
    — Quel est ce message ?
    — Elle vous envoie…
    — Quoi ? Mais quoi donc, parlez !
    La servante écarta alors le linge qui
recouvrait ce qu’elle tenait entre ses bras, et que le troubadour avait pris
pour un panier.
    Ce fut un choc.
    — Ceci.
    Un nouveau-né se trouvait emmitouflé contre le
sein de la servante.
    Escartille porta une main à sa bouche.
    Oh, Seigneur.
    Le poupon avait les yeux fermés, les mains
crispées contre sa bouche. Son corps était recroquevillé dans le linge. Tremblait-il ?
Escartille écarquilla les yeux, tétanisé, ne sachant que faire. Il regarda l’enfant,
la servante, puis de nouveau l’enfant.
    — Ce bébé est vôtre, dit la jeune femme. Don
Antonio avait projeté de le tuer. C’est à ses yeux un bâtard illégitime. La
honte de sa maison ! Ma maîtresse l’a mis au monde dans une retraite sûre,
un ermitage où il l’a reléguée quelque temps. Don Antonio a voulu se saisir de
l’enfant et le faire disparaître, sitôt qu’il serait né. Mais nous avons été
plus promptes et avons réussi à l’en empêcher. Ils ont séjourné longtemps à
Toulouse et à Carcassonne. Louve ne pouvait le garder. Elle a voulu vous le
confier. Prenez-le et veillez sur lui !
    Elle glissa le nourrisson entre les bras du
troubadour. Celui-ci crut défaillir ; il le tenait contre lui – l’enfant
de Louve, le sien, le leur !
    — Mais… Mais…
    — Vous êtes père, mon ami. Gardez-le
auprès de vous, sauvez-le, élevez-le ! Et ne restez pas ici, Don Antonio
pourrait lancer des hommes après vous quand il saura ce qui s’est passé. À l’heure
qu’il est, il doit être au courant !
    La servante, pressée et anxieuse, fit mine de
tourner les talons.
    Escartille s’écria encore :
    — Mais… où allez-vous ? Où est Louve,
où est-elle ?
    La servante se retourna. Elle pleurait.
    — Je dois repartir. Je ne puis vous dire
où elle se trouve à présent, et ma route est longue. Pour votre sécurité et
celle de ma maîtresse, il vaut mieux que vous ne sachiez rien. Loba n’a
pas oublié ce que vous lui avez dit, le jour où elle est partie. Oui, elle vous
retrouvera – un jour ! Mais par pitié, laissez-la en paix maintenant !
Ne cherchez pas à la rejoindre ! Respectez ses vœux et sauvez son enfant, il
est de noble sang. Vous n’imaginez pas quel est son déchirement, Escartille, vous
n’imaginez pas comme elle a souffert. Je ne sais si je dois vous bénir ou vous
maudire de ce que vous avez fait. Loba est comme ma fille, je l’ai vue
naître et je lui ai donné le sein. Je risque ma vie en venant ici, comme elle a
risqué pour vous son honneur. Mon dévouement n’est rien, pensez au sien. Tous
ses espoirs sont maintenant entre vos mains ! Mais prenez garde : votre
pays est dangereux, vous savez comme moi ce qui s’y passe.
    Elle tournait de nouveau les talons.
    Escartille se jeta en avant.
    — Attendez ! Le nom ! Quel nom
lui a-t-elle donné ?
    La servante regarda Escartille.
    — Elle l’a appelé Aimery !
    Elle eut un dernier regard pour le troubadour,
puis s’enfonça dans la nuit.
    Escartille, immobile, vit les deux silhouettes
s’évanouir dans l’obscurité.
    La nuit même, il rassembla ses affaires ;
il prépara ses provisions ainsi que ses maigres bagages et fit harnacher un
cheval.

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