L'Église de Satan
Hofgesinde, le château légendaire du Graal. Vois-tu,
c’est bien là le problème : chacun arrive à Montségur avec ses propres
projections fantasmatiques. Il est très difficile de conserver une posture de
bienveillante neutralité lorsque l’on se retrouve en face du site lui-même. On
peut y voir un repaire de druides mystérieux, chargé d’influences celtiques, lorsque
l’on rêve de Brocéliande ; il est aisé de se persuader que le château
représentait le cadre idéal où aurait pu se dérouler la fameuse procession de
la Coupe, du Tailloir et de la Lance, qui fascine encore les émules de Chrétien
de Troyes. D’autres y arrivent avec leur pendule et, en radiesthésistes
convaincus, cherchent la Porte des Ames au milieu de ses décombres, lorsque ce
n’est pas un mystérieux manuscrit tibétain qui renfermerait des invocations aux
morts… Pour couronner le tout, certains se sont imaginé que le Saint Graal ne
serait que le reflet de la contraction de sang real, le sang royal :
de quel sang s’agirait-il ? Mais du sang du Christ, bien sûr, celui-là
même que, dans la légende arthurienne, Joseph d’Arimathie recueillit dans le
divin calice !… De là, l’idée d’une dynastie chrétienne oubliée, que les
cathares, fidèles à la révélation de ce secret mystique, auraient perpétuée
dans l’ombre de Montségur. Des généalogies savantes ont été élaborées à partir
de ce curieux postulat ; le Christ aurait eu un enfant avec
Marie-Madeleine, qui, fraîchement débarquée à Marsilia, se serait assurée de la
sauvegarde de sa sacrée progéniture. Je ne te parle pas des récupérations les
plus odieuses du mythe de Montségur par quelques groupuscules néo-nazis, sur
ces cathares qu’on appelait les “purs” ; ce ne sont pas les
interprétations qui manquent, et les plus délirantes. Un parfum de soufre vole
encore sur le château, qui éclipse parfois la réelle beauté de l’aventure.
Une chose est sûre : ces différentes
interprétations ne sont pas là par hasard. Tous ceux qui, un jour ou l’autre,
croisent Montségur sur leur passage en gardent un souvenir saisissant. Cet
endroit exerce sur l’âme un effet incomparable. Je suis un scientifique, mon
cher Antoine ; en tant que tel, je dois m’en tenir aux faits. Mais force
est de reconnaître que tout, ici, est frappé de mystère. Encore ces ruines
sont-elles postérieures au véritable Montségur des cathares. Oh, à première vue,
elles ne paient pas de mine. Que sont ces austères morceaux de caillou face à
la flamboyance de nos cathédrales gothiques ? Et pourtant… C’est le
château du temps des albigeois que je voudrais mettre au jour. Celui de
Guilhabert de Castres. Toute cette région n’a cessé de m’intriguer. Une région
brûlante et dure, à l’image de ces gens qui l’habitent depuis des lustres. En
eux se disputent sans cesse la rudesse naturelle de leur tempérament et une
jovialité des plus hospitalières.
Ils descendent de montagnards farouches, ou de
ces soldats qui, franchissant les Pyrénées, passaient autrefois de l’ancienne
Occitanie à la Catalogne. Ils gardent de tout cela quelque chose que je ne
saurais définir, mais que j’admire et que j’envie : une mémoire , peut-être.
Et moi, je navigue au milieu de leurs légendes comme un étranger. Mon statut
même de scientifique me pousse à y regarder à deux fois avant de balayer d’un
revers de main tous les racontars. Mon rôle est de les analyser, de les
disséquer les uns après les autres avec la précision d’un entomologiste. Et ce
n’est pas toi, grand antiquaire des vieilleries de nos civilisations, qui me
diras le contraire : les mythes procèdent toujours d’une quelconque
réalité. Reste à découvrir laquelle. Oui, lorsque je me promène au matin dans
les brumes désolées de Peyrepertuse, lorsque je vois ce Quéribus posé comme un
dé à coudre au sommet de sa montagne, lorsque je marche sur les traces des
parfaits de Montségur livrés aux flammes et que je contemple les graffitis, Al
Nostres Catari, cremats lo 16 de Marc de 1244, inscrits dans la roche au
pied des collines, je me dis qu’ici, un mystère demeure.
Les registres de l’Inquisition le confirment : il y a eu un trésor à Montségur , que certains ont cru retrouver dans la
fameuse histoire de l’abbé Saunière, de Rennes-le-Château – abbé devenu
subitement richissime, sans raison apparente, si bien que l’on n’a pas
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