L'Église de Satan
toi, rien d’autre que ce rêve que j’adore.
Louve sourit.
— Si tu m’aimes, mon ami, c’est peut-être
pour cela. Parce que… je ne suis pour toi qu’un rêve.
Escartille sourit à son tour. Lorsqu’il était
entré, Louve tenait Aimery dans ses bras. Ils étaient restés longtemps tous les
trois enlacés. Puis le jeune homme lui avait raconté ce qui s’était produit, depuis
qu’Inès lui avait apporté l’enfant à Puivert ; il lui avait raconté
comment le comte de Toulouse avait fait amende honorable à Saint-Gilles ; il
lui avait dit de quelle manière il s’était retrouvé à Béziers. Il s’était
attardé sur le récit de son saut miraculeux de la cathédrale, sur l’apparition
étrange de ce cavalier volant vers Montségur, puis sur ses craintes et ses
espoirs sans fin, à Carcassonne. À son tour, Louve lui avait détaillé les
emportements de son père, lorsque Don Antonio avait su qu’elle aurait un fils ;
elle avait parlé des couloirs sombres de cet ermitage où elle avait été
conduite, comme une pestiférée ; puis, de la naissance d’Aimery, du départ
d’Inès par une nuit sans lune, l’enfant dans ses bras, et de ce déchirement qu’elle
avait alors éprouvé. Retournée en Aragon, elle s’était rendue à Barcelone de
son propre chef, au moment où Pierre II, assisté de Don Antonio, y
rassemblait son armée. Et elle était revenue en Occitanie. Les récits des deux
amants s’interrompaient, s’entremêlaient parfois ; ils se cédaient
mutuellement la parole dans des exclamations de surprise, enchaînaient tour à
tour des bribes de leur narration, dont ils retrouvaient le fil après de
longues digressions. Escartille montra à Louve les parchemins de son Livre
de Vie, dont elle lut quelques rouleaux avec émotion, courbée sur cette
écriture ronde et fleurie.
Lorsque leurs histoires se tarirent enfin, ils
laissèrent place au silence.
Loba alla déposer
Aimery délicatement dans son berceau, puis revint vers le troubadour.
— Penses-tu que l’amour n’est qu’un rêve
égoïste, projeté sur la personne aimée ? demanda Escartille.
Louve s’était allongée sur le lit.
— L’amour… Non, je crois que l’amour vrai
est tout autre chose.
— Dis-moi, Louve, toi qui as croisé ma
vie comme un songe que l’on m’a soustrait aussitôt, et que je retrouve aujourd’hui
avec l’émerveillement de te savoir présente, avec l’angoisse que le temps n’ait
émoussé notre belle et secrète tendresse…
Escartille avait les cheveux en bataille, et
cet air perpétuellement dépassé par les événements dans lequel Louve, non sans
raison, ne voyait que la fragilité de l’homme de bien, et une noblesse qu’elle
estimait davantage que celle de la naissance.
— Louve, je ne sais plus ce qu’est l’amour,
maintenant que je l’ai sous les yeux.
Elle hocha la tête en continuant de sourire. Lentement,
elle remontait l’échancrure de sa robe catalane.
— Veux-tu que je te dise ce qu’est l’amour,
troubadour ?
Escartille se jeta à ses pieds.
Loba marqua une
pause ; elle ramena ses jambes devant le troubadour et les maintint
serrées, juste devant son nez, lui qui sentait ses sangs s’échauffer et jetait
subrepticement des coups d’œil vers les courbes de son corps, comme autrefois, lorsqu’il
rêvait de la conquérir, dans les jardins de Puivert. Mais elle lui prit
gentiment le menton et le força à la regarder dans les yeux. Le troubadour
sourit et se noya tout à fait dans le regard de l’Aragonaise.
Elle commença, comme une mère faisant la leçon
à son enfant :
— L’amour, je vais t’en parler, puisque
grâce à toi, à cause de toi, j’en connais tous les tourments… L’amour est d’abord
une impulsion étrange, une attirance pour la personne aimée ; parfois, elle
tombe subitement de deux inespérés, elle fait soudain croire en la beauté de la
vie ; parfois, elle se découvre, troubadour, elle survient alors qu’on ne
s’y attend pas, après de longs moments passés ensemble. Elle vient avec la
foudre, ou mûrit avec patience, préparant en secret son avènement… Puis, l’amour
devient séduction, angoisse, délire ! N’avons-nous pas vécu chacun de ces
instants ? Oui, j’ai prié au cœur de cet ermitage tandis que tu frôlais la
mort dans l’enceinte de Béziers, nous avons tremblé tous deux et traversé les
affres les plus douloureuses, les angoisses les plus mortelles. Mais
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