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L'Église de Satan

L'Église de Satan

Titel: L'Église de Satan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnaud Delalande
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aujourd’hui,
il rejaillit comme il est né à Puivert. Te souviens-tu, lorsque nous écoutions
ce cathare que ta cour avait reçu, et qui parlait seul, devant les flambeaux ?
Te souviens-tu du regard que nous échangeâmes à ce moment ? Je crois que c’est
là que les choses furent scellées, sans que ni toi, ni moi y puissions rien. Tu
veux savoir ce qu’est l’amour, Escartille ?
    Le troubadour s’approchait d’elle, inexorablement.
    — Il est ce baiser invisible du soir ;
il est cette caresse du destin qui, d’un instant à l’autre, nous fait passer d’enfer
en paradis, ou de paradis en enfer ; il est l’aile d’une colombe aveugle
qui se frappe contre les murs en cherchant les nuages ; il est…
    Elle fit à nouveau silence quelques secondes.
    — Il est ce qui nous échappe et que nous
cherchons sans cesse, souffla-t-elle.
    Elle sourit, tandis qu’Escartille, n’y tenant
plus, se jetait sur elle.
    La nuit fut magnifique.
    Lorsque, alanguis par tant de plaisirs, Loba et Escartille se retrouvèrent pantelants, de longues confidences passionnées
succédèrent à l’ivresse. L’émerveillement du soir ne pouvait leur faire oublier
ce qui les attendait encore, ni l’incertitude de la prochaine bataille à venir.
Louve devina que le troubadour était inquiet. Elle mesurait soudain combien les
récents événements l’avaient changé.
    — Je sais, murmurait Escartille, que le
comte voudrait me voir défendre sa belle cause ; il voudrait que je me
batte à leurs côtés, moi qui ne sais que manier la vièle, la flûte et le rebec.
Je sens qu’il appelle à lui tous les Occitans. Il appelle les soldats de métier,
les bourgeois et les marchands, les tisserands et les cordonniers, les paysans
et tous les croyants cathares. Ils sortent de chez eux, ils accourent déjà !
Et nous voilà tous emportés. Ton père, Don Antonio, attend de me voir à l’œuvre
pour prix de sa clémence, je le sens aussi, je l’ai vu dans son regard. J’ai
peur et je ne sais pas comment épouser cette cause que je comprends si bien
aujourd’hui, qui me touche au plus profond de mon âme, et qui cependant ne peut
que nous apporter la souffrance et le sang. Que disent ces cathares, Louve, mon
amie ? Que porter le fer contre autrui est la pire des choses, que
répandre le sang est faire l’œuvre du Diable, et se subordonner à lui dans sa
vaste entreprise de destruction de l’esprit et de la charité ; ces mêmes
parfaits seront contraints de se défendre pourtant et de renier leur foi par
leurs actes, tout comme les catholiques, qui se sont engouffrés à plaisir dans
ces massacres sans issue… Que dois-je faire, Loba  ?
    Louve attendit quelques secondes. Escartille
la regarda. Un rayon de lune illuminait son front. Elle semblait réfléchir.
    Puis elle dit :
    — On attaque vos maisons, on brûle vos
familles. Le roi est là, ainsi que mon père, le chevalier de Scala, Raymond et
son fils, et le comte de Foix qui bientôt va nous rejoindre. Pouvez-vous rester
sans rien faire ? Dis-moi, Escartille : si aucune guerre n’est juste,
c’est entre deux maux qu’il faut choisir. C’est là notre triste condition. Seule
ta conscience peut t’aider à te sortir de ce pas, mon ami. Sera-t-il dit que, laissant
les Occitans se battre sans toi, tu te seras enfui ? Tu sais que jamais
alors je ne pourrais te suivre – ni moi, ni Aimery. Est-ce cela que tu
souhaites ?
    Escartille la prit dans ses bras.
    — Non, voyons ! Jamais ! Comment
peux-tu penser cela ?
    Alors, elle se tourna vers lui :
    — Eh bien allez, Escartille ! J’ai
peur moi aussi. J’ai peur pour toi, pour mon père, pour nous. Mais revenons
donc sur terre ! Et si la terre est du Diable, si une Église hypocrite en
prend soudain le visage, allons à sa rencontre ! Je suis catholique, Escartille,
et il n’est pas de foi plus fervente que celle de l’Espagne. Mais les
catholiques eux-mêmes ne se reconnaissent plus dans ces horreurs ! Puisqu’il
nous faut faire face et choisir, allez donc, mon cher amour !
    Escartille la regarda. À son tour, après
Raymond VI, elle semblait l’adouber de ces paroles qu’elle avait tant de
peine à prononcer. Ses yeux brillaient dans la nuit. Elle chercha sa main et la
serra de toutes ses forces.
    —  Soyez hérétique, Escartille. Allez,
et défendez votre pays aux côtés de mon père.
    Léonie se tenait avec ses sœurs dans une
autre aile du palais comtal. Par une ouverture pratiquée

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