L’élixir du diable
secondes plus tard, un homme s’approcha de lui. Il devait avoir au moins soixante ans. Il tenait à la main une bouteille d’eau.
— Tu es soldat, fiston ?
L’homme semblait amical. Comme s’il voulait l’aider.
— Je l’ai été, répliqua Torres en frissonnant. Pas maintenant. Non, plus maintenant.
L’homme fit quelques pas vers lui, tenant la bouteille comme un gage de paix.
— Mon frère était dans l’armée, fit-il. Il a été tué au Koweït, en 1991.
La bouteille était maintenant à quelques centimètres de la main de Torres.
— Tiens. Bois ça. Tu as l’air d’en avoir besoin. Mais ne fais plus de mal à personne, fiston.
Le regard sans expression, Torres fixait la bouteille. Au bout d’un long moment, il la prit. Il dévissa la capsule, approcha le goulot de ses lèvres. Mais, au moment de boire, il remarqua une étrange forme noire, presque au fond de la bouteille. Il la leva vers la lumière et aperçut un groupe de serpents enchevêtrés qui se tortillaient dans l’eau. Ils étaient grotesques, avec des yeux bulbeux trop gros pour leur corps, et des épines effilées tout le long du dos. L’un d’eux venait cogner le bord de la bouteille et sifflait en le regardant.
Ils essayaient de l’empoisonner. Ils feraient n’importe quoi pour introduire des créatures dans son corps, afin qu’elles le lacèrent de l’intérieur.
Il jeta l’eau dans la pièce et pointa ses deux pistolets sur l’homme, qui fit néanmoins un pas dans sa direction.
— Donne-moi tes armes, fiston, dit-il d’une voix calme. Tu dois me donner tes armes, pour recevoir l’aide dont tu as besoin.
Torres savait que ce type mentait, qu’il essayait de l’abuser. Il allait lui prendre ses armes, puis l’entraîner dans une cave obscure où ils le découperaient en morceaux pour le dévorer. Etait-ce bien ce qu’ils faisaient ? Tout se mélangeait dans sa tête. Etait-il de nouveau dans l’armée, ou bien rêvait-il ? Les monstres n’existaient pas. Il le savait. Sauf qu’il y en avait un, là, juste devant lui. Et pas question de prétendre que c’était le fruit de son imagination. Il était là, avec ses yeux jaunes et ses crocs, il le regardait fixement, la bave dégoulinant de sa lèvre inférieure, les serres tendues en avant.
Torres réalisa qu’il devait sortir de là avant qu’ils ne le dévorent vivant. Les créatures étaient beaucoup trop nombreuses pour qu’il les mette en échec tout seul, et il était enfermé là, dans ce magasin, avec elles. Il fallait qu’il s’en aille. S’il restait enfermé avec les créatures, elles finiraient par le dévorer, ce n’était qu’une question de temps. Dehors, au moins, il aurait une chance. Peut-être ne voulaient-elles pas essuyer d’autres pertes. Il le saurait bientôt, de toute façon.
Il s’écarta du monstre perfide et se dirigea vers un petit groupe de créatures qui feignaient encore d’être humaines. Il saisit une jeune femme par le cou et la tira vers l’entrée, tout en sortant les clés de sa poche. Il déverrouilla les portes sans cesser de maintenir la femme devant lui. Il en entrouvrit une de quelques centimètres et jeta un coup d’œil vers la plaza.
— Je sors ! cria-t-il. Laissez-moi passer, et j’épargnerai celui-là !
Le centre commercial était désert, sauf pour les deux créatures qui l’attendaient, soixante mètres plus bas, sur la plaza.
Torres fit un pas en avant. Il sentit que le poids de l’otage se déplaçait, comme si elle essayait de l’arrêter, comme si elle voulait l’empêcher d’aller plus loin. Il regarda la créature. De grands os, tranchants comme des rasoirs, lui déchiraient la peau du cou. De longues serres jaillirent de l’extrémité de ses bras. Son corps était couvert de plumes. Son visage se déformait, un bec au bord dentelé surgit de sa chair. Torres s’écarta de cette créature répugnante, leva son arme et fit feu. Il le crut, en tout cas. Il était sûr d’avoir pressé la détente, mais il n’y était pas parvenu. Peut-être à cause de l’obscurité qui se répandait dans son crâne.
Il sentit que ses jambes ne le soutenaient plus.
Sous ses bottes, le sol était comme du sable mouvant. Quand il tomba, il se demanda s’il allait enfin pouvoir dormir.
Je retins mon souffle en voyant Torres s’écrouler, sur les images de la caméra montée sur le casque du sniper. La balle l’avait touché à la tempe, un peu à l’avant de l’oreille droite.
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