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L'Enfant-Roi

L'Enfant-Roi

Titel: L'Enfant-Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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quoi Blainville, qui ne manquait pas d’esprit, ou à tout
le moins d’esprit d’à-propos, repartit :
    — Sire, j’estime que le peuple de Paris en sera bien
aise, voyant le soin que nous avons de bien conserver la personne de Sa
Majesté.
    Le roi trouva sans doute quelque bon sens à cela, car après
y avoir réfléchi un moment, il reprit :
    — Bien, mais dites aux gardes que sortant et entrant
dans la ville, ils mettent leurs manteaux sur leurs armes.
    J’imaginais sans peine le jugement que Louis portait sur ce
qui se disait au Conseil des ministres quant aux tractations avec les
Grands : on en était à se demander combien de centaines de milliers d’écus
il faudrait donner à chacun d’eux pour qu’ils consentissent à rentrer dans le
devoir. Louis, à coup sûr, rongeait son frein. Lui qui aurait tant voulu être
comme son père un roi-soldat, désespérait assurément de ne pouvoir disposer,
comme il l’eût voulu, des soldats dont il était le chef. Ce qui ne laissait
aucun doute sur l’humeur qui l’habitait alors, c’est le temps qu’il passait
quasi quotidiennement à faire, ou à faire faire, des exercices militaires soit
à ses petits gentilshommes, soit à ses gardes.
    Une scène bien significative me revient à cet égard en
l’esprit. Jetais avec Monsieur de Souvré, le capitaine de Vitry et le docteur
Héroard en sa compagnie quand, le vingt-deux avril, sur le coup de trois
heures, Louis quitta le Louvre et entra en carrosse. Le cocher avait dû
recevoir au préalable ses commandements et je ne doute point que Monsieur de
Souvré et le capitaine de Vitry sussent où nous allions, mais ayant été invité
par Louis ainsi qu’Héroard à la dernière minute, j’ignorais notre destination.
Toutefois, elle me devint claire au fur et à mesure que nous cahotions sur les
pavés disjoints de la capitale.
    Le carrosse passa par le Pont Neuf, prit la rue Dauphine
(« ma rue », disait Louis non sans émeuvement, Henri IV ayant
donné le nom de son dauphin à la voie qu’il avait percée en prolongement du
Pont Neuf), franchit la Porte de Buci et tournant deux fois sur la droite,
emprunta la rue de Seine et déboucha sur le Pré-aux-Clercs, immense champ
surtout famé par les duels sanglants des gentilshommes, ou les batailles
rangées entre bandes rivales de mauvais garçons.
    À s’teure, on n’y voyait que les bataillons au grand complet
du régiment des gardes, ce qu’il y avait d’ordinaire de peuple en ce lieu pour
s’y trantoler (car il faisait fort beau) ayant été refoulé en lisière du champ,
badaudant et applaudissant. Le carrosse arrêté, un garde amena, les tenant par
les rênes, une jument blanche à Louis et un hongre bai au capitaine de Vitry.
Louis sauta en selle en un clin d’œil et se mit aussitôt à galoper devant le
front des troupes avec une maîtrise et une assiette qui faisaient honneur aux
excellentes leçons de Monsieur de Pluvinel. Je demeurai dans le carrosse, le
nez à la portière, en compagnie de Souvré et d’Héroard et, pour parler à la
franche marguerite, je m’y ennuyai à périr, n’ayant pas la tripe militaire.
Toutefois, je ne perdais pas de vue Louis qui paraissait tout à son affaire,
tantôt allant d’un bataillon à l’autre, et s’entretenant avec les officiers, et
tantôt immobile comme une statue de pierre sur son cheval, regardant la troupe
évoluer, se scinder, se rejoindre, se séparer encore et dans ces évolutions
marchant quand et quand au pas, au pas de course et au pas de charge.
    Louis, qui était entouré et partout suivi par une
demi-douzaine d’officiers, me donna l’impression de ne pas se contenter de
présider à ces manœuvres, mais de les inspirer, car je vis plus d’une fois une
estafette se détacher de son petit état-major et rejoindre au galop un des
bataillons comme pour lui porter son commandement. Pendant trois longues et
pour moi interminables heures, Louis fut ainsi occupé et quand il revint à
nous, démontant, jetant ses rênes à un garde et reprenant sa place dans le
carrosse, son visage fouetté par le vent de la course paraissait heureux et confiant.
Il se laissa aller avec un soupir d’aise sur les capitons de velours et comme
Héroard lui demandait s’il n’était pas excessivement las de cette longue
séance, il répondit que non et qu’il ne pâtissait de rien d’autre que d’une
faim canine.
    Vitry, qui s’était donné autant de peine que lui, en eût pu
dire autant.

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