L'Enfant-Roi
Prince avait été
alors à Paris, les choses eussent mieux tourné pour lui, se trouva piquée de ce
propos et eut l’incroyable cruauté de faire tenir au malheureux président une
lettre de Monsieur le Prince dans laquelle il approuvait le choix de la
régente… Le mépris de celle-ci et, par-dessus le marché, la trahison de Condé à
l’égard d’un homme qui l’avait si bien servi, mirent Monsieur de Thou en telle
détresse qu’à peu qu’il ne perdît alors le cœur et la parole.
Comme j’ai dit, il devait son malheur au pape qui, consulté,
répondit sèchement que Monsieur de Thou était « hérétique ». Bien que
Monsieur de Thou fût bon catholique, le Vatican avait contre lui retenu deux
crimes qui motivaient ce jugement : son Histoire Universelle témoignait, à l’égard des protestants, d’une certaine tolérance et c’est
Monsieur de Thou qui, à la prière d’Henri IV, avait préparé, et en grande
partie rédigé, l’Édit de Nantes.
— Sire, dit le président De Thou, je viens prendre
congé de vous, car je suis envoyé par la reine votre mère à Mézières où j’ai
reçu mission de moyenner la paix avec Monsieur le prince de Condé.
J’ignorais tout de ce voyage et je dois confesser que
j’admirai fort la hauteur dame que montra alors Monsieur de Thou en acceptant
de l’entreprendre, à son âge et malgré sa santé défaillante, oubliant, pour
servir son pays, combien indignement la reine l’avait traité et Monsieur le
Prince, trahi.
Je n’eusse su dire si Louis se souvenait des camouflets que
le président avait essuyés en 1610, ou s’il en avait eu depuis connaissance,
car plus on lui cachait de choses, et plus il tâchait de s’informer. Mais après
coup, j’opinai qu’il n’en ignorait rien, pour la raison qu’il agit alors à l’égard
de Monsieur de Thou, comme il avait fait pour Bellegarde le lendemain de son
sacre pour le consoler des affronts de Concini, en y mettant toutefois quelque
nuance : sans aller jusqu’à saisir familièrement par la barbe le vénérable
président, il lui manifesta néanmoins son affection et son estime en posant les
deux mains sur son épaule – geste dont Monsieur de Thou se souvenait
encore avec émotion trois ans plus tard, à la veille de sa mort.
Ce faisant, le roi dit d’un ton enjoué et expéditif :
— Allez, Monsieur de Thou ! Et dites à ces
messieurs-là qu’ils soient bien sages !
J’admirai le mot, le ton, le geste : tout était juste.
Les Princes rebelles de Mézières n’étaient que « ces messieurs-là »
et le roi de France, qui n’avait alors que douze ans et demi, loin de les
redouter, les traitait de haut en enfants turbulents qu’un grand serviteur de
l’État allait morigéner pour les ramener à raison.
M’étant aperçu à plusieurs reprises que Louis savait plus de
choses que je ne lui en disais, j’en avais conclu qu’il y avait dans son
entourage d’autres personnes que moi qui l’instruisaient des affaires que la
régente mettait tant de soin à lui cacher. Mais quelles étaient ces personnes,
je ne le sus jamais avec certitude, même quand le roi, devenu vraiment roi, n’eut
plus tant de raisons de demeurer si méfiant et si secret – vertus
machiavéliques que l’oppression maternelle l’avait contraint, en son âge le
plus tendre, à cultiver après la mort de son père.
J’en fus donc réduit aux suppositions quant à l’identité des
gens qui, ayant un facile accès à sa personne, lui apportaient, sans faire mine
ni semblant, des faits qu’on tâchait de lui dissimuler.
Pour le docteur Héroard, qui témoignait à Louis un
dévouement sans bornes (même si, au dire de mon père, il le soignait bien mal,
abusant des purges et des clystères), cela allait quasiment de soi et la
distance même qu’Héroard avait mise de prime entre lui et moi me confirmait
dans cette hypothèse. Il se pouvait que Monsieur de Souvré fût aussi de
ceux-là. Sa fidélité envers la régente, à mon sentiment, étant plus affichée
que réelle, surtout depuis qu’oublieuse de ses engagements, elle avait élevé le
Conchine au maréchalat qu’elle lui avait promis. L’oiseleur Luynes à qui Louis,
toujours avide d’affection, avait voué une extraordinaire amitié, avait toutes
les occasions, le voyant quotidiennement à la chasse et souvent par monts et
vaux, de lui dire ce que lui-même ou ses deux frères, Brante et Cadenet,
avaient appris dans les couloirs du
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