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L'Enfant-Roi

L'Enfant-Roi

Titel: L'Enfant-Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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moment :
    — De reste, le scandale ne serait pas si grand, si la
régente avait choisi comme favori un des Grands, par exemple, le duc d’Épernon.
    — N’est-il pas un peu vieux ?
    — Oh ! Il a rajeuni de dix ans depuis la mort du
roi et porte sa tête aussi haut que son cheval ! Nenni, voyez-vous, mon
fils, c’est le choix du favori qui est mauvais. Accumuler tant de faveurs sur
ce bas coquin, étranger par surcroît, c’est cela qui irrite le peuple et
l’amène à la dérision. Il lui semble que c’est par trop déchoir de la dignité
royale.

 
CHAPITRE II
    Au début d’octobre, comme nous achevions de dîner, Franz
nous vint annoncer que Toinon, mon ancienne soubrette, demandait à nous voir.
    — Est-elle toujours aussi jolie ? demanda mon père
avec un sourire.
    Cette question embarrassa Franz qui se faisait scrupule de
louer une autre femme que sa Greta. Et ne sachant que répondre, ce gaillard,
haut de six pieds et solide comme un coffre, rougit comme pucelle.
    — Je peux répondre à cela, dit La Surie. Je suis entré
hier dans sa boulangerie pour lui acheter un pain aux raisins et voici ce que
j’opine : elle est belle comme un petit ange. Merilhou se trouvait, sans
rien faire lui-même, dans la boutique et la regardait servir. Il me donna à
penser que, quand il n’est ni à son pétrin ni à son fournil, il passe son temps
à béer devant sa femme.
    — Qu’il prenne garde qu’un quidam ne la lui prenne, dit
mon père.
    — Oh ! Pour cela non ! dit La Surie. Tous les
péchés capitaux ne sont pas entre eux compatibles. Pour ce qui est de Toinon,
l’orgueil et l’avarice la défendent contre la luxure.
    — Pure méchantise, Chevalier ! m’écriai-je. Est-ce
orgueil chez une fille de se croire belle, vaillante et pleine d’esprit, quand
elle l’est ? Est-ce avarice que de se vouloir garnir en pécunes, quand on
est née sans un seul sol vaillant ? Toinon sait ce qu’elle est et ce
qu’elle veut, mais elle ne manque pas de cœur. Tout le rebours !
    — Qui le sait mieux que vous, mon beau neveu ? dit
La Surie, avec une petite grimace contrite. Pardonnez-moi. La rage de faire un
mot m’a emporté.
    — Franz, dit mon père qui, étant ce matin d’humeur
badine, voulait donner à son majordome l’occasion de briller, toi qui as l’œil
à ces choses, dis-nous comment elle est mise.
    — Quasiment, Monsieur le Marquis, comme une personne de
qualité.
    — Quasiment ?
    — Elle porte à la main un masque à tige dont elle a
caché son visage dans la rue. Ses galoches ôtées, elle est fort bien chaussée.
Son corps de cotte est de velours brodé, son cotillon, presque aussi ample
qu’un vertugadin, et son cou s’orne d’un collier d’or qui n’est point piètre.
    Mon père se pencha vers moi et dit sotto voce  :
    —  He won’t say she’s pretty, but he
did look at her [5] . En
résumé, Franz ?
    — En résumé. Monsieur le Marquis, si elle sortait d’un
carrosse, vous la prendriez, non tout à fait pour une personne de condition,
mais à tout le moins pour une bourgeoise.
    — Jour de Dieu ! dit La Surie. Est-elle devenue si
haute ?
    — Nenni, Monsieur le Chevalier, dit Franz. Elle n’est
ni haute, ni façonnière. À l’entrant, elle a baisé Greta et Mariette du bon du
cœur, fait de gentils sourires au reste de nos gens, et m’a montré plus de
déférence quelle ne m’en montra jamais, quand elle servait céans. Si vous me
permettez, Monsieur le Marquis, je dirais que ses manières ont beaucoup gagné.
    — Eh bien, Franz, introduis cette merveille et dis en
même temps à Mariette de nous servir les douceurs.
    — La merveille est aussi une douceur pour les yeux, dit
La Surie.
    À l’entrant de Toinon qui nous fit à tous trois une belle
révérence, mon père dosant la politesse à l’aune de sa visiteuse se leva à demi
de sa chaire. La Surie et moi-même l’imitant. En me rasseyant, je me rendis
compte que la présence de mon ancienne soubrette ne me laissait pas insensible.
J’en fus quelque peu fâché contre moi-même car, sans être aussi roide que Franz
en sa loyauté amoureuse, j’aurais voulu que ma tête et mes sens ne fussent
occupés que de ma seule Gräfin. Or, tous les jours que Dieu faisait,
Louison partageait ma sieste ; la vue de Toinon me donnait des regrets et
alors même que je ne désirais pas l’épouser, je pensais plus que je ne le
devais aux perfections de Mademoiselle de Fonlebon.
    Je

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