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L'Enfant-Roi

L'Enfant-Roi

Titel: L'Enfant-Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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aurait-il mal agi ?
    — Nenni. Il a trop bien agi.
    — Voilà qui est plaisant ! Conte-moi donc
cela !
    — Il faut dire de prime, Monsieur le Marquis, que mon
frère Luc est si beau qu’il n’est pas possible de plus.
    — Et qui en douterait à voir sa scintillante
sœur ? dit La Surie.
    Compliment qui, je ne sais pourquoi, me déplut.
    — Et la femme Tournier, qui atteint le mauvais tournant
de l’âge, s’est éprise de Luc comme follette, le pressa, le serra et le
poursuivit dans la maison des combles à la cave. Et lui, de refuser.
    — Et pourtant, dit La Surie, un coup de pinceau n’a
jamais fait de mal à personne.
    — Fi donc, Miroul ! dit mon père.
    — Bref, dit Toinon, il l’a repoussée.
    — Et la femme l’a peint en noir aux yeux de son
mari ? dit La Surie.
    — Oui-da ! disant que c’était lui le lubrique et
le harceleur.
    —  Es clásico [6]  !
dit La Surie : la femme de Putiphar…
    — Pardon, Monsieur le Chevalier, dit Toinon, il ne
s’appelle pas Putiphar, mais Tournier.
    Mon père se prit le menton dans la main et caressa sa barbe.
Il la portait en collier comme la mode en était, avec une petite mouche sous la
lèvre inférieure et une moustache effilée aux deux bouts. Bien qu’il dépensât
peu pour sa vêture, il avait été un des premiers à adopter le grand col brodé
qui dégageait le cou au lieu de la fraise qu’il détestait pour deux
raisons : elle serrait le gargamel et nous venait d’Espagne. De reste, il
prenait le plus grand soin de sa personne, et il était original en ceci que,
quasiment le seul à la Cour, il préférait les bains aux parfums.
    — Mais bien tu sais, Toinon, dit-il au bout d’un
moment, que si un compagnon travaille à son compte sans être admis comme maître
par ses pairs, il peut lui en cuire.
    — Mais point s’il travaille chez vous comme
aide-jardinier, Monsieur le Marquis, reprit Toinon. Et j’ai ouï dire que le
pauvre Faujanet a de présent beaucoup de mal à tirer seul les seaux de votre
puits.
    — Ha, mais je discerne là tout un petit complot !
dit mon père en se tournant pour dévisager Mariette, la soupière pleine de
compote chaude toujours calée contre son ventre. Eh bien ! Mariette !
Tu restes coite ?
    —  Monchieu le Marquis, dit Mariette avec
dignité, comment ouvrirais-je le bec pour vous répondre, puisque Monchieu le Marquis m’a défendu de le déclore ?
    — Et pour toi, Toinon, dit mon père, mi-figue
mi-raisin, bravo, bravissimo pour défendre si bien les intérêts de ton
frère !…
    — Oh, mais il ne s’agit point que de mon frère !
dit Toinon avec véhémence, mais aussi de vous embellifier pour faire honneur à
Reims à notre petit roi ! Que je l’ai vu comme je vous vois à Vincennes,
le treize août, pour y asseoir la première pierre de son corps de logis et que
c’était merveille de voir le mignon prendre le mortier dans un bassin d’argent
pour le jeter avec sa petite truelle, quasi aussi habile en cela qu’un
compagnon maçon ! Après quoi, il a sauté en selle sans l’aide de son
écuyer, il nous a baillé à tous et à toutes une grande bonnetade et il est
parti. Ha ! Monsieur le Marquis ! Vous auriez dû ouïr cela ! Le
peuple l’acclamait à déboucher un sourd, mi-riant mi-pleurant, tant est que moi
aussi j’y suis allée de ma larme.
    — Et pourquoi donc, Toinon ? dit mon père, qui me
parut touché de ce récit.
    — Parce que nous pensions à son père et qu’il nous
tardait fort que le fils soit assez grand pour chasser de France les sangsues
italiennes.
    Je ne saurais dire si, parmi ces sangsues, Toinon incluait
la reine. Aussitôt après la mort du roi, la régente avait gagné quelque popularité
en supprimant les taxes qu’Henri avait imposées au peuple pour pourvoir à sa
guerre contre les Habsbourg. Mais, comme quelques mois plus tard, elle les
rétablit pour nourrir ses folles libéralités en faveur des Concini et des
Grands, j’augurai que, dans l’esprit des Parisiens, la régente n’était plus
guère épargnée. Ce qui m’inclinait à le croire, c’est que ce fut justement le
moment où l’on commença à chuchoter dans les rues et sur les places de Paris
qu’il fallait « jeter la déesse à la mer avec son ancre autour du
cou ».
    Mon père craignait fort la dépense et il lui fallut
longuement peser avec La Surie le pour et le contre avant de décider s’il
allait embaucher Luc en double qualité

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